Jets de dés en V7

Assommer une grand-mère : jet de Combat +20%, réussite majeure, ou Dé bonus? Telle est la question existentielle qui nous intéresse aujourd’hui 🙂 Plus sérieusement, les lois de probabilité qui régissent certains jets de dés ne fonctionnent pas toujours comme notre intuition pourrait nous le laisser croire. Il est donc intéressant pour un MJ consciencieux de connaître certaines règles basiques, afin que les jets effectués collent au mieux avec ce qu’il cherche à simuler. Cet article abordera les principes probabilistes de certains types de jet de dé dans le cadre de l’Appel de Cthulhu V7, à travers quelques exemples (et sans formules mathématiques).

Loi (ou distribution) de probabilité

C’est le concept important à connaître pour le reste de l’article. C’est tout bête. Voyons cela sur un exemple.

  • À gauche, la loi de probabilité pour 1d20. C’est plat car chaque nombre a autant de chances de sortir à chaque jet de dé (5% pour chaque)
  • Au milieu, la loi de probabilité pour 2d10. Là, la loi de probabilité est différente : on observe que les valeurs centrales ont plus de chances de sortir que les valeurs extrêmes. Par exemple, la valeur 11 a 10% de chance de sortir, alors que les valeurs 2 et 20 n’ont que 1% de chances de sortir. Cela est dû au fait qu’il y a plein de façons de faire 11 (1+10, 2+9, 3+8, 4+7, 5+6, 6+5, etc.) alors il n’y a qu’une seule façon de faire 2 (1+1) et une seule façon de faire 20 (10+10)
  • À droite, la loi de probabilité pour 5d4. Là, le phénomène s’accentue encore : les valeurs centrales ont encore plus de chances de sortir que les valeurs extrêmes. De plus, la valeur minimale (5) augmente, car ce n’est plus possible de faire 1, 2, 3, ou 4 en jetant 5 dés, ce qui augment la valeur moyenne des scores obtenus.

Vous pouvez simuler ces lois de probabilité avec des simulateurs en ligne tels que :
https://anydice.com/
http://topps.diku.dk/torbenm/troll.msp

Pour aller plus loin pour les matheux :
http://www.wikiwand.com/fr/Probabilit%C3%A9s_des_d%C3%A9s

Points de dégâts

En terme de maîtrise, on peut déjà tirer quelques enseignements utiles de ce qui précède. Notamment lorsque vous scriptez vos PNJ ennemis : un monstre qui fait 1d20 dégâts, ce n’est pas du tout la même chose qu’un monstre qui fait 5d4 ! Le premier est très inégal dans ses attaques, et inflige 10 dégâts en moyenne, tandis que le second est plus régulier et fait 12,5 dégâts en moyenne. Un combat contre le premier sera plein de surprises et de rebondissements, tandis que le deuxième assènera ses coups avec une brutalité constante et implacable.

Jets de compétence

Dans le cas des jets de compétence, il est intéressant de se pencher sur les tirages multiples, car si on ne fait pas attention, on peut facilement fausser le jeu en demandant aux joueurs des jets qui ne sont pas « justes ». Je m’intéresserai seulement à deux grandes façons de combiner les probabilités :

  • lorsque plusieurs jets augmentent la chance de réussite
  • lorsque plusieurs jets diminuent la chance de réussite

Les règles de la V7 sont bien faites à ce niveau, et prennent en compte ce type de biais (notamment avec les jets combinés), mais il nous arrive souvent dans le feu de l’action de demander plusieurs jets aux joueurs sans vraiment prendre la mesure de ce que cela implique en termes de probabilités. Comme vous allez le voir, une mauvaise compréhension des probabilités peut facilement faire passer un PJ d’expert à néophyte et vice-versa.

Quand plusieurs jets augmentent les chances

Exemple : La porte est verrouillée. Les joueurs vont tenter de l’ouvrir de plusieurs façons :
– Je tente un Crochetage… Raté !
– Je tire dans la serrure !
– Fais-moi un jet de Chance… Raté !
– OK, je défonce la porte ! (Force)
– Réussi ! La porte vole en éclats !

Donc là typiquement, vos joueurs vous ont bien eu 🙂 À force d’essayer, ça va bien finir par passer ! Oui, en effet. C’est à peu près la même chose que de retenter encore et encore la même action. C’est pour cela que la V7 contient la règle « Redoubler un test ». La règle dit qu’on ne peut le faire qu’une seule fois et qu’en cas d’échec, les conséquences seront graves. C’est normal, puisqu’il s’agit d’un « tirage multiple avec remise ». Mathématiquement, on s’approche de façon exponentielle de 100% de chances de réussite à chaque nouvel essai. Par exemple, si vous avez 50% en Crochetage, vos chances de réussir sont :

  • 50% pour 1 essai
  • 75% pour 2 essais
  • 87.5% pour 3 essais
  • 93.75% pour 4 essais

Donc même si les jets font appel à des compétences différentes mais visent le même but, il serait logique d’appliquer le même principe que pour le redoublement de test, c’est à dire augmenter les enjeux à chaque nouvelle tentative. Il n’y a rien de plus bête qu’une porte défoncée après que chaque joueur ait tenté sa chance à tour de rôle ! Bon d’accord, ça peut être marrant, mais fondamentalement, cela dénature la notion même de compétence (ou de caractéristique), puisque le succès ne dépend plus de la valeur en soi, mais du nombre de tentatives. Donc personnellement, j’applique cette règle quand les joueurs proposent des actions similaires pour résoudre le même problème. Le but n’est pas de les brider, mais d’encourager leur créativité et augmenter le challenge.

Quand plusieurs jets diminuent les chances

Exemple : John essaye de voler une voiture pour prendre la fuite.
– Fais-moi un jet de Crochetage. OK, tu ouvres la porte.
– Je bidouille les câbles pour la faire démarrer.
– Mouais, il y a beaucoup de câbles… Fais-moi un jet d’Électricité. OK ça démarre !
– Je démarre sur les chapeaux de roue !
– Il va falloir manœuvrer vite et bien pour sortir de là avant qu’ils te rattrapent. Fais-moi un jet de Conduite et de Chance.

Quatre jets pour s’enfuir en voiture ? Les chances d’y parvenir sont assez faibles. Pourquoi ? Parce que la probabilité de réussir les quatre jets en séquence est égale au produit des probabilités de chaque jet. En admettant que John ait 50% en Crochetage, Électricité, Conduire et Chance, la probabilité de réussir les quatre est donc de 0.5 x 0.5 x 0.5 x 0.5 = 0.0625 soit 6%. Inutile de dire que c’est pas gagné pour John ! Encore une fois, les règles prennent en compte ce type de biais avec la règle des jets combinés. Pensez à l’utiliser !

Pour approfondir la question au sujet de ce type de jets, je vous recommande Jeter les dés jusqu’à l’échec.

Assommer la grand-mère

Revenons à cette pauvre petite vieille ! Avant la V7, j’avais pour habitude d’appliquer des modificateurs -20% -10% +10% +20% en fonction des circonstances. Bon maintenant il y a la notion de test Majeur ou Extrême, que je trouve moins fine, mais passons. Dans les deux cas, il s’agit d’un jet 1d100 avec une loi de probabilité plate (voir plus haut), dont le fonctionnement est intuitif. Mais qu’en est-il des jets avec dé(s) bonus/malus ? Voici à quoi ressemble leur loi de probabilité, 1d bonus à gauche et 2d bonus à droite :

Étrange non ? Intuitivement, quand vous jetez deux d10 et gardez le plus petit résultat, vous obtenez plus souvent des valeurs faibles, et moins souvent des valeurs élevées. Quant au dé des unités, il suit une loi de probabilité équiprobable, donc plate, ce qui explique les « marches » de l’escalier. La question est : si je teste une compétence à 50% avec un dé bonus, quelles sont mes chances de réussite ?

Il faudrait en fait lancer les dés un grand nombre de fois, compter combien de jets sortent à moins de 50%, et comparer ce nombre au nombre total de jets effectués. On peut faire cela simplement en regardant la figure, puisque le nombre de jets correspond à la surface située sous la courbe. En découpant la figure en sous-triangles de même taille (pointillés rouges) on voit qu’il y a 3 triangles sous la ligne pour les valeurs de moins de 50%, et 4 triangles au total. 3/4, c’est-à-dire 75%. Donc un test de compétence à 50% avec 1d bonus équivaut à un test de compétence à 75% sans dé bonus.

En faisant ce petit calcul pour toutes les valeurs, et avec différents type de bonus, on obtient la figure suivante. En abscisse, le score de la compétence, en ordonnée, la probabilité de succès :

Exemple (en pointillés) : pour une compétence à 50%, on a donc 50% de chance de réussir avec un jet normal (rouge), 75% avec 1d bonus (bleu), et 87.5% avec 2d bonus (vert) . Vu comme ça, ça ressemble à un modificateur de +25% ou +37.5%. Mais à y regarder de plus près, c’est un peu différent : le « bonus/malus » est maximal pour des valeurs médianes, et diminue pour les valeurs extrêmes (1 et 100). Sans rentrer dans les détails mathématiques, la grosse différence avec des modificateurs +10% ou -20% à la sauce V6, c’est que les probabilités de critique et de fumble sont largement affectées, comme l’illustre cette table :

2d Malus 1d Malus Normal 1d Bonus 2d Bonus
Critique 01 0.01% 0.1% 1% 2% 3%
Fumble 96-00 15% 10% 5% 0.5% 0.05%

Donc en gros, si la petite vielle est un PNJ important, évitez le dé malus pour le jet d’Assommer ou de Premiers Soins (plus de chance de fumble) : préférez des modificateurs -10%,  +20%, majeur/extrême 🙂 Pour des actions épiques par contre, préférez des jets avec dé de bonus/malus, qui favoriseront succès critiques et fumbles, et introduiront donc plus de drama et d’imprévu aux scènes concernées.

Voilà, j’espère que j’ai été clair sans être simpliste, et pour résumer : utilisez les dés bonus/malus pour « dynamiser » vos scènes, et plutôt des modificateurs pour un rendu plus lisse/conservateur. 🙂

8 commentaires à propos de “Jets de dés en V7

  1. Merci pour ces proba c’est bien pratique d’autant que je vais meujeuter de l’adc sous peu. Ça me rappelle quand certains de mes joueurs on commencé à aborder certaines règles de manière un peu trop probabiliste pour jouer aux « serial optimisateurs ».

    Ex: shadowrun, les compétences se tirent au D6. Un 5 ou un 6 = succès. Si la moitié arrondi au supérieur de ta compétence sont des 1 complication. Si la condition précédente a lieu sans succès dans le jet= échec critique.
    Sur ce je vois un de mes joueurs qui s’arrange pour avoir tous ses scores de compétences en impair… « Comme ça je réduit mes chances de complications! »

    Petite futée….

  2. Bonjour Faboo,

    Premièrement merci pour cet article fort intéressant !

    J’ai essayé de vérifier certains de ces calculs à la calculatrice pour voir combien %age de réussite on disposerait sur du 1d bonus avec certains score de base.

    J’ai bien compris que pour un score à 50, il fallait faire (0.5*0.5*)*100 pour trouver que le 1d bonus représenterait un bonus de 25.

    Mais maintenant quand je veux essayer avec un score de base à 75, je fais donc (0.75*0.75)*100, mais là je tombe sur 56.25.

    Étant donné qu’un % de réussite de 131% n’est pas vraiment possible, peux tu m’expliquer ce que j’ai mal compris dans le calcul ?

    Ce n’est pas que je n’ai pas confiance en ta courbe, mais j’aimerai connaître la bonne formule pour pouvoir faire des probas sans avoir besoin de me référer à ton article systématiquement !

    • Salut Ledouaje et merci de ton intérêt pour cet article !

      Bon j’ai été obligé de me remettre dans les calculs alors que je voulais éviter !

      En fait c’est un peu plus compliqué que ce que tu dis car il faut faire du dénombrement de cas. C’est à dire qu’il faut arriver à dénombrer sur 1000 cas possibles (10x10x10 puisqu’on utilise 3 dés) combien de cas donnent un résultat sous une valeur donnée.

      Je te mets la formule pour 1 dé bonus (je compléterai 1-2d bonus/malus quand j’aurais un moment : je veux prendre le temps de vérifier et ne pas écrire de bêtises 🙂 )

      Donc pour une compétence à MN % (ex: 75% –> M=7 et N=5)
      la probabilité de succès avec 1d bonus est :
      (200M – 10M^2 + (19-2M)(N+1) – 1) / 1000

      (on retrouve bien un dénominateur égal à 1000)
      Si les détails t’intéressent je ferai une petite vidéo expliquant le principe 😉

      [Edit] En fait, ça va plus vite de regarder la courbe ! 😀

      • Hello Faboo, je te remercie pour ta réponse ça va sûrement bien m’aider !

        Pour parler d’autre chose je travaille en ce moment sur des règles faites maison avec un système D100 où j’ai à la fois des modificateurs purs (Comme un +5 qui ferait passer une compétence à 75 à 80 sur un Jet précis), et/ou 1d bonus/malus. Ton article a donc beaucoup suscité mon intérêt.

        En essayant de m’inspirer de la conclusion de ton article pour départager les modificateurs purs des dés bonus/malus, voilà ce que j’ai écrit :

        « Avec 1d bonus/malus, les chances de faire un critique ; fumble aux dés passent de 5% à 10%, ce qui peut donc contribuer à intensifier une scène épique ou désastreuse.

        Un Modificateur Pur sera là pour souligner la facilité ; difficulté d’une action. Alors que 1d bonus sera là pour souligner à quel point le personnage est excellent dans un domaine précis, s’est bien préparé avant d’effectuer une action, ou bénéficie de circonstances telles que l’échec semble impossible dans les circonstances actuelles. (Ou l’inverse en cas de dé malus). »

        Pense-tu que j’ai bien saisi l’essence de la chose ?

        Je te remercie pour ton temps et ta réponse !

        • Oui c’est ca 🙂
          L’effet des dés bonus/malus est plus fort sur les extrêmes, comme indiqué dans le tableau.

          Le dé bonus double les chances de critique et divise par 10 les chances de fumble.
          Le dé malus double les chances de fumble et divise par 10 les chances de critique.
          Pour les valeurs médianes, il te suffit de regarder les courbes sur la dernière figure.

          Après, tu interprètes ça comme tu veux 😉

  3. Bonjour,

    Merci beaucoup pour cet article qui me réjouit à titre personnel car je me suis bien intéressé à cette question il y a quelques temps.
    Il ne s’agit pas, bien entendu, d’une satisfaction académique, associée à une joie de faire des mathématiques (même si, honnêtement, j’aime bien les statistiques, mais bon…).
    Non, ce qui me paraît essentiel en revanche, c’est bien de sensibiliser tout MJ sur les statistiques (de base), avec pour unique but de se montrer « juste » lors des lancers de dés que l’on impose à ses joueurs. Le mot « juste » est important.
    Sur cette question des avantages/désavantages, j’étais globalement arrivé aux mêmes résultats (grâce à ce site très bien fait sur les statistiques), que j’avais d’ailleurs comparé avec les +10/-10 que l’on pouvait auparavant ajouter aux jets selon les circonstances.

    Au final, en essayant de prendre du recul sur ces chiffres, j’en retire une réflexion de fond, qui me reste à l’esprit quand je suis MJ : faire en sorte que le jet de dé soit « juste » ; et pour y arriver, il m’est indispensable de savoir, en gros, ce qu’impliquent : un avantage/désavantage, un bonus/malus au jet, mais aussi (et surtout) une succession de jets de dés.
    Je donne un exemple. J’ai assez souvent eu des MJ qui, pour le déroulement d’une action, ont demandé une succession de réussites. Ex : « je m’approche de la cabane, discrètement ». « Ok, jet de discrétion ». « J’écoute à la fenêtre ». « Ok, jet d’écouter ». « Puis je retourne dans ma voiture, toujours discrètement ». « Ok, jet de discrétion ». Au final, pour réussir ce que je considère comme une seule action, le MJ demande la réussite de 3 jets, un seul échec provoquant l’échec de l’action. En admettant que j’ai 50% pour écouter et discrétion (ce qui est déjà énorme pour un PJ dans l’AdC), j’ai au final uniquement 50%*50%*50%= 12,5% de réussite. En gros, statistiquement, je ne vais pas y arriver, de manière quasi sûre. Si c’est ce que veut le MJ (est-ce « juste » ?), alors très bien. Sinon (et c’est souvent le cas), c’est dommage et je trouve que le jeu en pâtit beaucoup. On aurait pu ici s’affranchir, par exemple, du 2e jet de discrétion pour passer à 25% de réussite (ce qui reste très faible) ou encore donner un avantage … bref, plein de choix possibles…
    A l’inverse, quand un MJ demande à tous les PJ un test de TOC en entrant dans une pièce pour savoir si quelqu’un voit un détail particulier, il doit être conscient que ce sera forcément une réussite pour au moins l’un d’entre eux. Ex : 5 joueurs, chacun a 40% de TOC. La probabilité pour que personne ne voit rien (en statistique, il faut prendre le problème à l’envers car on n’additionne pas les probabilités !) est de 60%*60%*60%*60%*60%= 7,8%, donc la probabilité pour qu’au moins un PJ voit le détail est de 92,2%, donc une réussite quasi-certaine… Si c’est l’effet recherché par le MJ, très bien. Sinon, pourquoi ne pas demander tout simplement au PJ qui a le score le plus haut de faire un jet unique, quitte à lui donner un avantage éventuellement pour simuler le fait qu’ils sont plusieurs.

    Bref, tout ça pour dire qu’en tant que MJ, je me refuse à me faire imposer un jet de dé sans savoir où cela m’amène en termes de probabilité. Je veux que les jets soient justes, en fonction des chances que je juge réelles pour la réussite de l’action. Puis, j’agis en conséquence sur le jet que je demande, à la louche (cela ne prend pas de temps, avec l’habitude, on a l’esprit de ces statistiques de base dans la tête).

    Cordialement,

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