Après avoir vécu 2 ans en colloc avec des féministes de façade (c’est à dire qui parlent beaucoup mais concrètement ne font rien), j’ai pris conscience de mes lacunes en la matière (c’est vrai, il y a des différences de traitement, de salaire, un déterminisme à la naissance, etc., et il faut continuer de se battre contre tout ça). En quittant la colloc, je pensais en avoir terminé avec nos ami(e)s féministes. Enfin, j’ai bien une collègue de travail qui en est, mais ça ne me dérange pas, parce qu’elle n’est pas tout le temps en train d’en parler (contrairement à beaucoup), mais par contre elle agit concrètement (séminaires, articles engagés dans le journal de la fac, critique de la place accordée à la femme en islam, etc.), c’est ce que j’appelle une féministe engagée.
Et v’la ti pas qu’l’autre jour, en écoutant un podcast sur le JDR, mes tympans ont péniblement trébuché sur des « joueuses » et des « meneuses » à tout bout de phrase. Étonné par cette violation aberrante des règles de la grammaire française, j’ai poursuivi l’écoute pour voir si il y aurait un équilibrage dans l’emploi des genres, mais non. Tout était accordé au féminin. Enfin presque tout : une SEULE fois l’intervenant a utilisé le masculin, et pour dire quoi ? Que les PJ des JOUEURS allaient chier dans les bois pendant leurs tours de garde 😡 !!! Il semblerait donc que les préjugés aient la vie dure, même chez nos plus belles âmes…
Comme cette pratique semble se répandre, je me suis demandé d’où qu’ça pouvait bien v’nir. Alors je ne suis pas sûr que ce soit l’origine du truc, mais dans le livre paru récemment Mener des Parties de Jeu de Rôle, que je n’ai pas acheté mais dont on peut trouver des extraits gratuits en ligne, voici ce qu’ils disent dans la note d’introduction :
LE MENEUR, LA JOUEUSE ET LE PERSONNAGE
Vous l’aurez sans doute remarqué, mais, sans l’imposer aux autres auteurs, nous avons pris le parti de féminiser systématiquement le terme de « joueur » en « joueuse ». Nous sommes conscients que cela n’est pas ce à quoi nous enjoint la grammaire et que cela ne semble pas naturel pour la plupart d’entre nous. Certains nous ont même confié se sentir exclus par ce choix. Toutefois, nous l’avons fait à dessein. La première raison, certes moins importante, est que cela permet de distinguer sans effort les joueuses, quel que soit leur genre, d’un éventuel meneur ou des personnages. La seconde est que nous pensons qu’en tant qu’éditeur, surtout d’ouvrages théoriques, nous avons notre (tout petit) rôle à jouer sur l’image que se renvoie notre propre communauté et sur la façon dont elle traite certains de ses membres. En d’autres termes, c’est justement parce que cela « râpe » que nous pensons que c’est important de le faire. Quoi qu’il en soit, rassurez-vous, on s’y habitue rapidement. Après tout, nous n’avons féminisé qu’un seul mot, et cela ne concerne que quelques articles…
Bon alors première remarque, c’est gentil de ne pas l’imposer aux autres auteurs, mais vous l’imposez sans vergogne à tous vos lecteurs ! Ensuite, il y a un petit côté prétentieux (« […] surtout d’ouvrages théoriques, … » ) et donneur de leçon à la communauté rôliste, qui comporterait d’affreux machos qu’il faudrait éduquer. Être sexiste, c’est mâââle. Oui (dans nos sociétés en tout cas) mais c’est d’autant plus irritant de se l’entendre rappeler par une autorité morale auto-proclamée. En même temps, je comprends bien qu’il est difficile d’expliquer un tel choix sans se mettre personne à dos, donc passons sur cet aspect.
Non, ce qui m’énerve vraiment, c’est qu’ils n’assument pas complètement leur choix : La première justification invoquée est clairement une excuse bidon. Ensuite, notez bien les tournures de phrases : « (tout petit) rôle » et « certains de ses membres » (pourquoi ne pas franchement dire les filles ?), « nous n’avons féminisé qu’un seul mot » (un seul mot oui, mais des centaines d’occurrences !), « cela ne concerne que quelques articles » (un peu comme le gosse qui sait qu’il a fait une bêtise !). Putain mais assumez vos choix avec franchise : Ne vous cachez pas derrière des excuses et des euphémismes ! Montrez que vous assumez votre prise de position au lieu de nous servir un truc tiède qui suinte la peur de prendre franchement parti !
Désolé, je me suis emporté là 🙂 ! Mais revenons au fond : que se cache-t-il derrière cette étrange « timidité » dans l’affirmation de ce choix ? Eh bien selon moi, c’est parce qu’en fait il n’y a aucun fond ! Bien sûr qu’il y a des comportements sexistes dans la communauté JDR, comme partout, mais sûrement moins que dans le jeu vidéo, à un rassemblement de Harley Davidson, ou à l’assemblée nationale ! En fait, ça fait belle lurette que la dénonciation du sexisme est établie dans notre société, et c’est même quasiment une mode (souvenez-vous de ces députés qui s’étaient mis du rouge à lèvres). Ça fait longtemps que ne pas s’indigner contre le sexisme passe pour un comportement ringard, surtout dans les milieux d’un certain niveau culturel, dont font partie la plupart des rôlistes. Donc mesdames et messieurs, vous arrivez avec un peu de retard sur le champ de bataille ! Bien sûr les discriminations existent toujours et le combat féministe doit se poursuivre, mais la simple indignation publique est devenue banale.
De plus, même si le problème était avéré, je ne vois pas en quoi changer « joueur » en « joueuse » changerait la donne (ça me rappelle quand nos très inspirés politiciens voulaient enlever le mot « race » de la constitution afin de lutter contre le racisme !) À la limite, ça pourrait avoir comme effet d’attirer plus de joueuses vers le JDR, mais pas de changer les comportements sexistes. Il serait par exemple bien plus efficace que les auteurs de JDR mâles reversent une partie de leurs bénéfices de ventes pour aider les auteures femelles (discriminées par ce milieu masculin) en participant aux frais d’édition… ou bien qu’ils montrent l’exemple dans leur livre qui compte pas moins de 18 auteurs dont seulement 2 de sexe féminin !
Selon moi, il y a deux possibilités pour interpréter ce choix lexical énervant : soit ils sont naïfs et pensent sincèrement que dire « joueuse » à la place de « joueur » va révolutionner les mentalités, soit ils savent bien que au fond, ça sert à rien (mais ça coûte pas cher de changer un mot pour se faire mousser), et dans ce cas ce sont des féministes de façade. Dans ce dernier cas de figure, je préférerais qu’ils utilisent (à la limite) la notation existante « le joueur(se) » ou qu’il disent carrément « le joueur ou la joueuse », mais qu’ils arrêtent de nous casser les couilles pieds avec des « euses » qui font mal à mes pauvres tympans, et pourquoi pas qu’ils s’impliquent vraiment dans le combat féministe comme ma collègue de travail, c’est-à-dire par un engagement discret et authentique, pas de façade.
Je suis assez d’accord avec ce post qui met le doigt sur cette nouvelle pratique, un peu niaise à mon goût. En effet, nous savons tous que la communauté rôliste comprend beaucoup plus de joueurs que de joueuses, et dans mon cas, nous le déplorons. Cependant, cette nouvelle pratique qui semble avoir fait pas mal d’émules, puisque c’est la tendance actuelle dans pas mal de blog et de podcast m’apparait un peu déplacée. D’abord, parce que dans mon acceptation du terme joueur, je désigne par les personnes au delà de leur genre et donc en employant ce terme générique volontairement afin de mettre tout le monde au même niveau, je ne les sépare pas, au contraire. Le fait de dire joueuse, me semble être tout à fait contreproductif, voir sexiste puisque cela revient à marquer la différence de genre. Ce reproche a d’ailleurs été déjà fait à propos des termes féminisées qui sont reconnues par certaines associations féministes comme improductifs.
D’un autre côté, pourquoi ne pas insister, également sur les autres minorités issues de la communauté des rôlistes. En effet, il y a moins de joueurs de petites taille, ou de couleur de peau différente, et encore une fois nous le déplorons. Pour autant cela ne viendrait à l’idée de personne de remplacer le terme joueur par « joueur de petite taille ».
Enfin, je préférerais tout simplement que la communauté essaie de travailler sur les moyens qui pourraient donner envie aux femmes de pratiquer plutôt que d’essayer de camoufler la triste réalité, c’est à dire la faible représentation des femmes autour des tables de JDR.
Je sais bien que l’on peut reprocher au Français de ne pas avoir de genre neutre, c’est un fait, mais dans ce cas, il faudrait revoir tout dans son ensemble et ne pas uniquement s’arrêter sur le terme joueur(se).
Pour le reste, chacun est bien entendu libre de s’exprimer comme il le souhaite, il faudrait juste ne pas laisser croire à ces personnes que nous avons attendu leur « ridicule contribution » pour s’interroger sur le problème de fond posé, à savoir la sous représentation des femmes dans notre hobby. Car c’est un peu cela qui est sous entendu, me semble-t-il ! « vous dites encore joueur bande d’odieux sexistes ». Encore une fois, je le répète, nous disons joueurs, pour désigner un homme ou une femme indifférencié qui participent à une partie de JDR. Les « participants » et non pas les participantes, qui est plus restrictif et sexiste puisqu’il sous entend que ces personnes ne seraient que des femmes !
Merci de ce très juste commentaire qui vient compléter mon point de vue !
(et maintenant je sais que je ne suis pas tout seul à penser comme ça 🙂 )
Bonjour,
Faisant partie des personnes concernées, je me permets de partager un lien où nous répondons à une série de questions sur notre démarche, dont certaines qui correspondent à des éléments que vous soulevez dans votre billet : https://www.casusno.fr/viewtopic.php?f=8&t=25600&p=1431313&hilit=jokari#p1431313
Je ne sais pas si cela vous y intéressera. Mais vous aurez des éléments de réponse concernant plusieurs des éléments mis en avant dans votre billet. Il devrait notamment vous rassurez notamment sur ce qu’il se passe derrière la façade.
Merci.
Salut,
Merci de partager ce lien, qui corrige en partie certaines de mes interprétations, notamment sur ce qui s’est passé en coulisses (par exemple les raisons pour lesquelles la majorité des autres auteurs on refusé). C’est clair que ça part d’un bon fond, et que trouver la forme appropriée n’était pas facile 🙂 . Je prends aussi note du fait que votre démarche se concrétise également sous d’autres formes que la simple féminisation de mots : « de façade » semble donc inapproprié en ce qui vous concerne vous deux.
Ce qui est intéressant c’est la dernière question : « Est-ce que nous allons arrêter nos bêtises ? », à la quelle tu réponds par la négative. La question vicieuse que je me pose est la suivante : si des études montraient que la féminisation des termes n’a aucun impact positif, voire un effet inverse à l’effet recherché, est-ce que vous « continueriez tout de même vos bêtises ? »
En fait, c’est difficile de répondre à cette question parce que nous avons pu constater que cela avait déjà, à sa petite échelle, un impact positif. Il n’est pas forcément très visible de l’extérieur, et il faut bien dire que pour nous qui cherchions plus à faire un livre qui soit cohérent avec nos valeurs que de convaincre qui que ce soit (et même si nous savons très bien que cela va nous coûter de précieuses ventes), il a dépassé ce à quoi nous nous attendions.
En effet, depuis la parution du recueil, nous avons reçu beaucoup de mails de joueuses qui nous expliquaient qu’elles étaient contentes de voir enfin un livre qui leur donne l’impression d’être des rôlistes à part entière et pas juste des anomalies statistiques ou des « copines de rôlistes ». Pour la plupart, ce ne sont pas des interlocutrices que nous avions déjà, mais des voix que nous n’entendions pas, tout simplement parce que, dans la plupart des médias rôlistes, les femmes sont encore moins représentées qu’autour des tables de jeu. L’autre impact que nous avons pu constater, outre de susciter des débats, y compris dans des cadres plus formels, c’est que plusieurs professionnels (auteurs et éditeurs) nous en ont parlé et ont réfléchi à comment modifier leurs pratiques à ce sujet et ont d’ailleurs déjà commencé. Alors, globalement, il ne faut pas s’attendre à une révolution et ce sera leur choix et pas le nôtre, hors de question de s’approprier quoi que ce soit, mais ils se disaient contents d’avoir vu qu’ils n’étaient pas les seuls à y réfléchir et d’avoir pu ainsi voir que c’était possible.
Bref, tout cela fait qu’il m’est extrêmement difficile de me placer dans la même hypothèse.
Merci de ce complément d’information, maintenant je te repose la question, en tant que simple hypothèse, juste par curiosité. C’est un truc pour lequel les rôlistes sont pourtant très doués : « Que ferais-je si… ? » 🙂
Imagine que je sois ton MJ : « Tu remarques que votre action a créé des tensions dans la communauté rôliste, des filles sont exclues de certains clubs, tandis que se créent des clubs exclusivement masculins, d’autres exclusivement féminins, … Que-faites-vous ? »
Imaginez qu’après la lecture de cette innocente introduction, des rôlistes masculins se mettaient à assassiner leur conjointe, leur sœur, leur mère, leur fille ! Imaginez que vous ayez créé un monde cataclysmique dans lequel les deux sexes ne peuvent plus vivre en harmonie mais se livre une guerre atroce ?
Répondez monsieur Brand ! Les rôlistes ont le droit de savoir.
Je crois que c’est ma suspension d’incrédulité qui a encore un peu du mal à décoller.
Mouais…, et tu serais obligé de refaire un perso je crois… 😈
Excellent ! Je viens de lire sur le JDR Old School : Principia Apocrypha
Un texte qui aurait pu être excellent sans le parti pris de tout féminiser. Tristesse qui exclut LE lecteur. Et je te rejoins sur l’aspect prétentieux et donneur de leçon. Le JdR se voit parfois plus grand qu’il n’est. Rappelons nous qu’il s’agit d’un loisir.
Je suis d’accord avec toi.
Après, ne pas généraliser : je pense que dans le tas, certains écorchent notre langue en étant convaincus de faire avancer la cause féministe. Moi je pense que cette méthode a plutôt l’effet inverse…
Excellent article qui pointe une dialectique purement hégelienne dans le domaine du JdR.
En suivant ce raisonnement supprimons le mot « cancer » de la langue pour supprimer la maladie.
Sans compter le coté vaguement prétentieux de la démarche : « moi je sais ce qui est bon, je suis du coté du Bien et vous, bande de petits ignorants (masculins) phallocrates je vais vous rééduquer ».
La langue ne fait pas la Société. C’est la Société qui fait la langue.
Je crois que le côté prétentieux est au fond ce qui m’énerve le plus chez ces gens !