L’Art du Rythme : Techniques Avancées 2

Suite de l’article de Justin Alexander sur les « Techniques Avancées » concernant la gestion du rythme.


IN MEDIAS RES

Le cadrage de scène in media res consiste à commencer au cœur de l’action. C’est une technique efficace parce qu’on se retrouve projeté directement au moment le plus excitant/intéressant de la scène. Dans d’autres médias, cela intrigue également le public en créant un mini-mystère : Comment les personnages se sont-ils retrouvés dans cette situation précaire ?

Cet élément de mystère du media res devient cependant problématique en JDR : Autant ça ne pose pas de problème au public de ne pas savoir comment les personnages se sont retrouvés dans certaines circonstances, autant cela pose un problème quand les joueurs sont sensés incarner ces personnages et ont besoin de savoir ce qu’ils savent afin de prendre des décisions appropriées.

Mettons le mini-mystère de côté un moment, et concentrons-nous sur une forme plus simple de in media res que je recommande chaudement, quelles que soient vos prédilections : Le cadrage après la porte d’entrée.

Les MJ ont tendance à cadrer l’arrivée : si les PJ se rendent dans un entrepôt, le MJ va couper et reprendre au moment où leur voiture arrive devant l’entrepôt. S’ils s’apprêtent à interroger un suspect, le MJ va commencer la scène au moment où ils frappent à la porte du suspect. C’est une façon de faire qui est sûre, mais souvent inutile. Par exemple, si vous savez que les PJ vont au bureau du grand patron pour chercher des indices, pas la peine de passer par les fastidieuses étapes de rentrer dans le bâtiment, crocheter la porte de son bureau, etc. Au lieu de ça, vous pouvez directement commencer la scène au moment où ils fouillent dans ses armoires à dossiers et s’emparent des documents incriminants.

Cela fonctionne parce que les suppositions que vous faites pour le cadrage de scène sont évidentes : Vous supposez que les PJ, en fait, vont faire ce qu’ils ont dit qu’ils feraient. Et vous supposez qu’ils vont y arriver. (Si ce dernier point est sujet à caution, bien sûr, il faudra faire un test de compétence et cadrer la scène en conséquence. Par exemple, si les PJ échouent à leur test d’infiltration, vous pourriez cadrer la scène au moment où le gardien braque sa lampe-torche dans leur direction.)

IN MEDIAS RES AVANCÉ

Des exemples plus spectaculaires de in media res sont communs dans d’autres médiums, mais ils sont relativement difficiles à mettre en œuvre en JDR sans faire de dirigisme. Il peut cependant être très valorisant d’y parvenir.

De mon expérience, cela requiert un haut niveau de confiance et de compréhension entre le MJ et les joueurs : Le MJ doit connaître ses joueurs et leurs personnages suffisamment bien de façon à pouvoir prédire leurs réactions. Pareillement, les joueurs doivent avoir suffisamment confiance en leur MJ pour le croire capable de faire une prédiction correcte.

Cependant, il y a aussi des moyens pour le MJ de « tricher » afin de parvenir à des ouvertures de scènes in media res satisfaisantes. Une méthode toute simple est, « Pourquoi êtes-vous ici ? » Le MJ ouvre la scène en disant quelque chose comme « Vous êtes dans un tunnel sombre en dessous du quartier général de la Parker Corporation. Pourquoi êtes-vous ici ? »

En substance, cette technique dit que « Oui, je vous ai plantés là de façon dirigiste. Mais pour compenser, je vous donne la possibilité de choisir certains éléments de l’histoire. » Il est clair que la plupart des gens trouveront cela lourdingue (c’est bien au-delà de ma zone de confort.) Mais si ça fonctionne pour vous et votre groupe, la contrepartie est que vous pouvez en tirer des cadrages beaucoup plus solides et un rythme beaucoup plus soutenu.

Une autre manière de « tricher » est d’utiliser la technique in media res avec un flashback : Vous mettez les PJ dans un bourbier et ensuite vous faites un saut en arrière pour établir comment ils en sont arrivés là. La connaissance « future » du résultat contraint évidement leurs choix, mais encore une fois, vous atténuez ce dirigisme en leur permettant d’influencer (ou même de définir) le chemin qui mène aux éventements qu’ils ont vu. (Et c’est parfois tout un art de dépeindre une histoire à la fois intéressante et dont le contenu n’est pas trop engageant.)

SCÈNE D’ÉPILOGUE

Une scène d’épilogue est une scène à la couleur particulière qui fait immédiatement suite à un conflit majeur ou un bang. Pendant la scène d’épilogue, les personnages ont la possibilité de réfléchir et réagir à ce qui vient juste de leur arriver.

Le but de l’épilogue est à la fois esthétique et pratique. (Et c’est pratique aussi bien dans l’univers de jeu que dans le méta-jeu.) Esthétiquement, il procure un moyen naturel de varier le rythme de la partie efficacement : Les moments de grande tension et d’action trépidante sont mis en contraste avec le calme relatif de l’épilogue, ce qui resitue ces moments dans un contexte plus large de progression, régression ou révélation.

Dans le contexte du méta-jeu, une scène d’épilogue est pratique parce qu’elle survient souvent à un moment où les joueurs et/ou le MJ doivent faire le point : Les blessures doivent être soignées. Les ressources doivent être comptées. Les notes doivent être consultées. Si votre groupe peut développer la faculté de faire cette comptabilité en mode roleplay, cela peut grandement améliorer vos sessions de jeu. (Remarquez que le roleplay ne doit pas forcément se faire par rapport à la mécanique comptable : Il est possible de dire « on soigne tout le monde » et ensuite gérer ça mécaniquement pendant la scène suivante où les PJ discutent en roleplay de leurs options pour la prise d’assaut du palace.)

En même temps, dans le contexte de l’univers de jeu, il est parfaitement naturel de se relaxer et prendre un moment pour récupérer d’une situation stressante. Ou bien de s’asseoir et essayer de prendre le temps de discuter de révélations à couper le souffle. (« Mec, envoie-moi une bière. Betty vient juste de me larguer. Et aussi, je crois qu’elle est possédée par démon. »)

En pratique, ces scènes viendront naturellement si vous en laissez à vos PJ un peu le temps de souffler. Même si vous utilisez un cadrage de scène plus rigide, vous ne devriez pas négliger ce type de scènes.

Une technique efficace pour cela est d’établir un « kit de situations » pour les scènes d’épilogue. Par exemple, dans ma campagne Ptolus, ces scènes ont souvent lieu dans leurs chambres au Ghostly Minstrel, pendant un déplacement en calèche à travers la ville, ou pendant qu’ils pillent les cadavres et soignent leurs blessés. Il a été établi que c’étaient là des thèmes récurrents de la campagne, et le groupe a développé une tendance naturelle à engager une scène d’épilogue quand ils se présentent.

CASSURE DE RYTHME

Dans Buffy contre les vampires, les scènes d’épilogue ont souvent lieu à la bibliothèque de l’école ou (dans les dernières saisons) au Magic Box. Mais Buffy est aussi un bon exemple illustrant comment utiliser un « kit de situations » que l’on va ensuite changer en y intégrant occasionnellement un conflit. C’est un exemple basique de cassure de rythme.

Le rythme d’un livre ou d’un film finit souvent par suivre un schéma répétitif. Il en va de même pour le JDR. Ce rythme régulier peut s’avérer satisfaisant de par sa familiarité (en particulier quand on a l’impression que le groupe est soudainement sur la même longueur d’onde et participe de la même indescriptible synergie de collaboration instinctive), mais cela peut aussi facilement devenir abrutissant et éculé de par le côté prévisible. Pour éviter cela, vous devez de temps en temps casser un rythme familier en provoquant l’irruption de quelque chose d’inattendu : une scène sensée être bisounours dégénère soudainement en conflit. Une séquence qui donnait l’impression d’aller en s’apaisant explose soudainement en un bang inattendu.

Ce qui est intéressant avec les cassures de rythme c’est qu’elles peuvent facilement redevenir une routine. Par exemple, la première fois qu’un monstre supposé mort réapparaissait soudainement au moment du supposé épilogue du film, c’était une cassure de rythme qui fonctionnait bien. Par contre maintenant ça fait partie de la rythmique attendue dans un film d’horreur : On est plus surpris quand le méchant tueur est définitivement mort que quand il se relève soudainement.

CONCLUSION

Je ne peux qu’insister ici sur le fait que cet article a à peine commencé à toucher du bout du doigt le sujet de la rythmique en JDR.

D’un autre côté, ce n’est peut être pas plus mal : Même si le cinéma, par exemple, a certainement tiré profit d’une meilleure compréhension de la manière d’utiliser le rythme avec la boîte à outils du cinéaste, rythmer efficacement un film s’apparente toujours beaucoup plus à un art qu’à une science. De la même façon, on peut facilement tomber dans l’illusion de l’unique bonne-façon-de-faire en essayant de développer l’utilisation de maximes déjà bien établies.

Au lieu de ça, j’espère avoir réussi à transmettre un outil conceptuel utile que vous pourrez utiliser de mille manières différentes afin de mieux comprendre et maîtriser le rythme de vos propres campagnes. À vous d’utiliser ces outils à votre  façon : Expérimentez. Jouez avec. Voyez ce que vous pouvez découvrir et ce que vous pouvez améliorer.

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4 commentaires à propos de “L’Art du Rythme : Techniques Avancées 2

  1. Oui, j’aime bien les articles de Justin Alexander : il parle souvent de situations que l’on a soi-même rencontrées et donne des techniques simples avec des exemples clairs. Après, il faut garder tout ça a l’esprit et penser à le mettre en pratique : il n’est pas toujours évident de changer ses petites habitudes. Moi par exemple, j’ai vraiment du mal à éviter de dire à mes joueurs : « Bon, vous êtes en face de la porte de Mr. Bidule… » 🙂

  2. La traduction est parfois une tâche ingrate et solitaire. Je prends donc le temps de te dire que je suis extrêmement heureux que tu traduises des articles de Justin Alexander, assurément l’un des auteurs les plus intéressants sur le sujet de la maîtrise des jeux de rôle. Les francophones ne peuvent qu’en bénéficier grandement.

    Merci!

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