L’Art du Rythme : Techniques Avancées 1

Je continue ici mes traductions d’articles de Justin Alexander. Dans ses articles consacrés aux techniques de maîtrise, on y trouve une rubrique sur la gestion du rythme : The Art of Pacing. Je me suis concentré sur les deux derniers articles, qui concernent les « Techniques Avancées ».


SÉPARER LE GROUPE

Commençons par les scènes simultanées : La moitié du groupe s’en va explorer le château d’eau abandonné pendant que le reste va interroger Jim Baxter, le paysan doté d’une inexplicable réserve d’or Nazi.

Il m’est arrivé à deux reprises qu’une équipe de joueurs m’annonce spontanément qu’ils n’allaient pas se séparer parce qu’ils ne voulaient pas me rendre la tâche difficile. À chaque fois, je les ai rapidement dissuadés de leurs « bonnes intentions » : La vérité, c’est j’adore quand les PJ se séparent.

Bien que cela demande plus de jonglage pour gérer plusieurs ensembles de manière fluide, ce léger surcoût en vaut bien la peine puisqu’il va vous donner un tas d’options pour rythmer efficacement la partie : Le truc c’est que vous n’avez plus besoin d’attendre la fin d’une scène. Vous pouvez découper comme bon vous semble entre les deux scènes simultanées.

  • Coupez en pleine montée d’un bang. (Le bang devient un cliffhanger : « La porte vole soudainement en éclats sous l’effet des pains d’explosifs ! Le Colonel Kurtz s’avance à travers les restes éparpillés… Pendant ce temps, à l’autre bout de la ville…  » )
  • Coupez sur un choix. (Rappelez-vous que le jeu de rôle consiste en une conversation à propos de choix significatifs. Quand un choix « de ouf qui déchire » est proposé, passez à l’autre groupe.)
  • Coupez sur un jet de dés. (Laissant l’issue en suspens. On évite aussi la coupure mécanique pendant laquelle les dés sont jetés et les modificateurs ajoutés. Tout cela se passe pendant que quelque chose d’excitant arrive aux autres groupes. Et quand ils en viennent à un jet d’action quelconque… BAM ! Vous coupez et repassez à l’autre groupe, collectez le résultat, et poursuivez l’action.)
  • Ou bien, d’un point de vue purement pratique, coupez à n’importe quel moment où un joueur a besoin de chercher un règle, faire des calculs compliqués, ou lire une aide de jeu. Il n’y a pas forcément de cliffhanger ou de moment de suspense à mettre en valeur, mais vous n’en éliminez pas moins les temps morts à la table de jeu.

Au final, le résultat c’est qu’un découpage efficace entre scènes simultanées vous permet de facilement accentuer le rythme, intensifier les moments de suspense, et mettre en valeur les choix décisifs.

CROISEMENTS

Une fois que vous maîtrisez les bases du jonglage avec les scènes simultanées, vous pouvez enrichir l’expérience en liant ces scènes par croisements.

Le type de croisement le plus simple est le croisement direct. C’est quand un élément ou une résultante d’une scène apparaît immédiatement dans une scène différente. Par exemple, si un groupe fait exploser le dépôt d’armes, alors l’autre groupe peut entendre l’explosion depuis la ville. Ou bien le Colonel Kurtz échappe à l’un des groupes de PJ et finit par rejoindre son bureau… que les autres PJ sont en train de fouiller.

Les croisements indirectes sont à la fois plus subtiles et plus variés. Ils consistent en des éléments communs ou apparentés de chaque scène mais qui ne sont pas identiques. Par exemple, on pourrait avoir Franklin qui découvre le manuel d’un culte décoré d’un cobra blanc pendant que, simultanément, John voit un cobra blanc peint sur le visage de sa femme assassinée.

Un croisement indirect peut très bien n’avoir aucun rapport spécifique avec le jeu : Par exemple, Suzy pourrait proposer à Rick un rendez-vous à l’Étalon Italien Vendredi soir. Au même moment, dans une scène différente, Bobby se voit donner l’ordre par son lieutenant de police de mettre en place la surveillance d’une rencontre entre parrains de la mafia dans le même restaurant à la même heure. Suzy et Rick n’ont aucune connection avec la mafia ou la police, mais il s’agit tout de même d’un croisement.

Ceci montre aussi comment les croisements peuvent être utilisés pour tisser ensemble des fictions déconnectées : Suzy, Rick, et Bobby vont tous se retrouver dans ce restaurant au même moment. Franklin et John vont tous deux lancer deux enquêtes distinctes sur le cobra blanc. La manière dont leurs chemins vont se croiser n’est pas clairement définie, mais il est certain qu’ils sont sur des trajectoires convergentes.

Cette technique peut être particulièrement efficace en début de scénario ou de campagne : au lieu de les faire se rencontrer dans un bar, lancez vos PJ dans des scènes séparées et semez ensuite des germes de croisements dans ces scènes afin de les faire lentement se rejoindre de manière organique.

Une autre façon d’utiliser ces techniques est pour renforcer le rôle de joueur-comme-spectateur. Vous savez ce moment dans un film d’horreur où le spectateur ne veut pas que le personnage ouvre la porte parce qu’il sait quelque chose que le personnage ne sait pas ? Difficile à faire en JDR… à moins que la tablée ne le sache (parce que cela a été déterminé dans une autre scène), mais que le PJ ne le sache pas. (Ceci présuppose, bien sûr, que vos joueurs soient assez matures pour assumer une séparation entre les connaissances du PJ et du joueur.)

SCÈNES NON-SÉQUENTIELLES

Il faut bien voir que des techniques similaires au croisement peuvent clairement être aussi utilisées dans des scènes séquentielles et non-simultanées. (John voit un cobra blanc peint sur le visage de sa femme morte et plus tard, le PJ découvre le cobra blanc du manuel du culte.) Mais l’idée du croisement a ceci de spécifique que vous juxtaposez justement les deux éléments à la fois pour l’effet immédiat mais aussi pour établir un lien entre les actions simultanées.

Pour certains, cela aura l’air artificiel. Quelles sont les chances, vraiment, qu’à la fois le rendez-vous galant et la surveillance des parrains aient lieu au même moment ? Un moyen de contourner le problème est l’utilisation de scènes non-séquentielles : La scène du rendez-vous pourrait avoir lieu le Mardi et la surveillance le Jeudi. Ce qui ne veut pas dire que ces scènes ne peuvent pas être jouées simultanément à la table de jeu.

Cette gestion non-séquentielle du temps est aussi un bon moyen d’éviter un autre obstacle couramment rencontré par les MJ quand ils séparent le groupe. Ça commence quand un PJ dit quelque chose comme : « Ok, vous, vous allez en ville à la recherche de l’entrepôt ! Nous on reste là jusqu’à ce que David ait finit de cracker le code de la base de données. »

Le MJ se dit alors : « Bon, ça va leur prendre au moins 15 minutes pour arriver à l’entrepôt. Donc je vais devoir faire passer au moins 15 minutes de temps de jeu ici au centre informatique avant de pouvoir reprendre l’action à l’entrepôt. » Mais ce n’est pas forcément le cas. Il n’y a aucune raison de ne pas jouer la recherche de l’entrepôt et l’histoire informatique simultanément.

J’appelle ce genre de scènes des scènes décalées dans le temps. Pour moi, la dilatation du temps dans ces scènes n’est en général pas significative en soi. L’idée est plutôt d’en profiter pour utiliser des techniques rythmiques plus efficaces. L’exemple typique c’est quand tout le monde se sépare pour aller faire ses emplettes : Nous savons que tout à lieu à un moment pendant l’après-midi de Mercredi, mais je ne suis pas particulièrement intéressé de savoir si quelque chose se passe à 14h plutôt qu’à 14h15. Par contre, je vais couper sur les bangs, les jets de dés, et autres trucs excellents de ce genre.

FLASHBACKS

Les Flashbacks sont une autre forme commune de scène non-séquentielle. Ou plutôt, ils sont très communs dans d’autres formes de médias. De mon expérience, ils sont exceptionnellement rares en jeu de rôle.

À la différence d’une scène qui a été légèrement décalée dans le temps, la non-linéarité du flashback est souvent une caractéristique significative de son apparition : Ce qu’il décrit du passé est supposé être pertinent par rapport à la thématique, ou bien révélateur de quelque chose à propos des événements en cours dans la fiction. (On pourrait inclure comme exemples non-JDR Godfather II, qui utilise beaucoup la technique mais de manière relativement simple; Memento, qui l’utilise presque de façon absurdement complexe; et Use of Weapons de Iain M. Bank dans lequel deux ensembles de scènes prennent origine au même moment, avec un ensemble de scènes qui parcours le temps à rebours et l’autre qui le parcours en avant.)

Les flashbacks et les scènes non-séquentielles requièrent en général d’être très attentif dans la gestion de la continuité. Il s’agit en général d’un mélange entre une mise en place des choses prévenant des erreurs de continuité à l’avance, et aussi d’une volonté à la table de ne pas délibérément violer la continuité connue. (« Je l’appelle avec mon téléphone portable ! » « Ok, mais on sait déjà qu’il est parti pour l’entrepôt, quoique tu lui aies dit lors de ton appel. Donc joue-le en conséquence. ») Occasionnellement, on pourra invoquer un retour en arrière si ça devient n’importe quoi, mais il faut à l’évidence éviter d’en arriver là.

L’avantage du flashback c’est qu’il permet beaucoup plus de flexibilité dans la manière d’explorer à la fois les personnages et les situations. En plus de par exemple jouer des scènes qui ont eu lieu avant le début de la partie, les flashbacks peuvent aussi être utilisés pour atténuer ou exacerber un cadrage de scène difficile : S’il vous arrive d’avoir oublié quelque chose qui s’avère être important, vous pouvez simplement y faire référence à l’aide d’un flashback.

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