Ce sont les classiques de tout bon scénario d’investigation, cthulhien ou pas. À un moment ou un autre, il faudra préparer les lampes torches, le chloroforme, les habits sombres, le kit de crochetage (ou le pied de biche), et organiser une petite visite nocturne à la recherche des précieux indices. D’autres fois, il faudra enfiler le long par-dessus, les lunettes noires, et sauter dans un taxi en criant au chauffeur : « Suivez cette voiture ! » La routine quoi ! Oui : la routine justement. Dernièrement, j’ai senti avec mon groupe que ce genre de scène avait tendance à se banaliser : « Bon on fait comme d’hab, on gare la voiture un peu plus loin, Kowalski reste au volant prêt à démarrer, Francis s’occupe de la serrure pendant que Olson fait le guet. » S’en suivent jets de Serrurerie, Discrétion et TOC, et on repart tranquillement avec les indices…
Un peu ennuyeux, non ?
Les scénarios d’investigation commencent généralement par la rencontre avec des PNJ, des interrogatoires, puis des recherches en bibliothèque et autres archives. On va d’un indice à l’autre, suivant les noms, les adresses, les lettres dans les poubelles et autres boites d’allumettes. Cependant, ce jeu de piste peut à la longue s’avérer ennuyeux s’il s’étend sur une séance complète de jeu. Bien sûr, le MJ pourra pimenter cette phase d’enquête par quelques scènes d’action, en envoyant des PNJ énervés pour en découdre avec les investigateurs trop curieux. Mais amener ce genre de scène n’est pas toujours possible sans que ça paraisse tiré par les cheveux : « Tiens, comme de juste ils savaient qu’on allait venir ce soir… » ou bien : « Mais comment ils peuvent savoir qu’on est descendus à cet hôtel !? » (le MJ étant bien sûr implicitement visé par ces remarques 😡 ).
Il faut donc utiliser une autre approche pour pimenter cette phase d’enquête. Avec du recul, je me dis que j’ai trop souvent laissé mes joueurs forcer, fouiller, voler, saccager et même foutre le feu en toute impunité. Un peu comme si les passants et les voisins étaient sourds et aveugles en somme. Je pense que c’était à la fois par paresse, et aussi pour faire avancer le scénario plus rapidement. C’est en jouant récemment La demeure de l’épouvante que j’ai repris conscience de l’intérêt à faire vivre le monde entourant les PJ : Lors d’une fouille, j’avais introduit à tout hasard un PNJ du type voisin facho insomniaque (voir ci-dessous), ce qui a débouché sur 45 minutes de jeu improvisé, avec des interactions, des alliances imprévues, et un combat tarantinoesque. Après réflexion, je me dis qu’ajouter de tels éléments imprévus n’a en fait que des avantages :
- Plus réaliste
- Moins répétitif
- Challenges ludiques
- Interraction/Roleplay
Donc plutôt que leur envoyer des sbires capillo-tractés, je préfère les surprendre en utilisant l’environnement « naturel », qui s’avère parfois être une adversité tout aussi coriace. Ci-dessous je propose quelques idées en vrac qu’on pourra utiliser pour enrichir des scènes de fouille ou de filature. (Comme d’habitude chers consommateurs web passifs, je vous invite à proposer vos idées que j’intégrerai dans l’article, afin d’en faire profiter tout le monde, c’est le but de ce blog.)
La fouille
Ce qui suit suppose évidement que les PJ aient raté leurs jets de Discrétion opposés aux jets de Vigilance/TOC/Écouter des PNJ impliqués.
- le voisin facho insomniaque
C’est l’enfoiré par excellence. Il n’a jamais parlé à son voisin depuis 10 ans qu’il habite là, mais il est prêt à se servir de son fusil de chasse pour faire comprendre aux PJ que la propriété privée, c’est sacré ! Sa connerie naturelle et son envie d’en découdre donnera un malus de 20% à toute tentative de Persuasion ou de Baratin.
- la voisine curieuse
Vielle commère insomniaque ou quinquagénaire célibataire, elles ont en commun le fait de vivre leur vie par procuration en observant les gens derrière leurs rideaux (10% malus pour les apercevoir). L’intrusion des PJ est l’occasion pour elle d’avoir enfin un rôle à jouer dans le monde « réel », ce qui décuplera son audace et son insistance à fourrer son nez dans les affaires des PJ. Son arme secrète : aller prévenir tous les voisins !
- le chien de garde
…ou tout autre gardien sympathique. Le problème du chien c’est qu’il aboie avant même que quelque chose empiète sur son territoire (sauf si les joueurs réussissent leur jet de Discrétion 🙂 ). Ce n’est pas drôle : mieux vaut les prendre par surprise ! Pourquoi ne pas opter pour une panthère ou un boa constricteur, bien plus fourbes ? Dernier détail : n’oubliez pas de demander aux joueurs s’ils referment la porte derrière eux en entrant 😈 !
- l’arroseur arrosé
Attention, risque de capillo-tractage ici ! Mais après tout, si les PJ se déplacent en Bentley, quoi de plus normal qu’un voyou essaye de voler/fouiller leur voiture ? S’ils s’introduisent dans un appartement vide, ou situé dans les beaux quartiers, pourquoi des petits malins n’y auraient pas entrepris un casse ? Autre possibilité : les voleurs ont déjà rempli leurs sacs et s’apprêtent à quitter les lieux quand les PJ arrivent : ils risquent alors d’embarquer des indices que les joueurs recherchaient… Confrontation très probable !
- les fêtards innocents
De la même façon, des fêtards rentrant de bringue un peu bourrés peuvent sérieusement compromettre la discrétion des PJ. Plus cocasse : un couple coquin d’un soir bien décidés à consommer leur nuit dans un endroit improvisé, pourraient s’inviter (ou déjà être sur place) de manière inattendue dans les affaires des investigateurs…
- le jumpscare
Classique, mais efficace, le jumpscare (à l’aide d’un chat noir ou autre artifice), permettra de pimenter une fouille un peu monotone. Ça a l’air bête, mais ça fonctionne très bien si c’est bien amené, c’est à dire après avoir installé une certaine attente, et en gueulant comme un malade ou en jouant un son avec le volume à fond 🙂 (à utiliser avec parcimonie). Chat surprise !
- le coup de fil
Quoi de plus dérangeant que la sonnerie du téléphone alors que vous voulez être discrets et que vous n’avez rien à faire là où vous vous trouvez ? Faut-il décrocher et ainsi révéler sa présence ? Ou bien laisser sonner jusqu’à réveiller tout le monde ? À jouer en boucle jusqu’à ce que les nerfs des PJ lâchent : Dring ! Dring ! On pourra aussi pimenter la scène en choisissant un interlocuteur vicieux (voir ici). Bon après s’ils arrachent la prise…
- l’alarme
Les alarmes existaient dans les années 30, bien que plutôt réservées aux banques et aux endroits stratégiques. On peut cependant très bien considérer que les riches pouvaient en équiper leurs hôtels particuliers :
« Il y a un fil rouge et un fil vert. Que fais-tu ?
– Euh…
– Fais-moi un jet de Bricolage, caché ! Bon… tu penses qu’il faut couper le fil vert, euh non pardon, le rouge ! » 😈
Sinon, il y a l’alarme du pauvre : un bon vieux piège à loup ou un fusil déclenché par une ficelle. L’imagination humaine est sans limite… À utiliser avec modération !
- les incidents domestiques
Les jets de Bricolage, Électricité, FOR, et autres interventions de nature technique peuvent, en cas d’échec, mettre les PJ dans des situations délicates et ajouter une dose de stress supplémentaire. Ainsi, un jet d’Électricité raté provoquera un court-circuit ou une étincelle qui pourront démarrer un incendie. Une maladresse dans la cuisine pourra endommager une tuyauterie en mauvais état et provoquer une fuite d’eau ou pire, de gaz. Autant de problèmes qui forceront les PJ à agir rapidement sous peine de gros ennuis…
- la police
Je n’utilise pas souvent la police, car je trouve que passer la nuit au poste et signer un procès verbal n’apporte pas grand chose en termes de jeu. Si les PJ ont fait trop de bruit bien sûr, un quidam appellera la police qui viendra jeter un coup d’œil, ce qui pourra mettre la pression sur des PJ qui n’ont pas encore fouillé complètement les lieux ou n’arrivent pas à forcer ce fichu coffre. À jouer avant leur dernier jet de Serrurerie/TOC : PiiinPooon !
Par contre, la police pourra agir de façon invisible en collectant empreintes digitales, de chaussures, sang, douilles et balles, portraits robots par d’éventuels témoins (voisine curieuse, chauffeur de taxi), et peu à peu constituer un dossier. Ce dossier sera inutile si les PJ ne sont pas fichés, mais à la première arrestation, tout sera minutieusement contrôlé et recoupé –> Violation de propriété privée, Effraction, Entrave à la justice, Destruction de preuves, etc.
Même si les PJ ne sont pas pris la main dans le sac, ils peuvent très bien être arrêtés pour un contrôle de routine juste après leur fouille. Ça sera l’occasion de les faire transpirer un peu : fouille du véhicule avec la présence d’éléments compromettants (pied de biche, gants, masques). Il se pourrait aussi qu’un PJ se soit blessé en cassant une fenêtre par exemple, ce qu’il faudra justifier de façon crédible au policier.
La filature
Le(s) PJ suivent un suspect, quand celui-ci remarque qu’il est suivi…
- la course-poursuite
Dans cette option, la filature devient un parcours d’obstacles. L’idée sera de mettre des obstacles sur le chemin d’un/des protagonistes (murs, voitures, charrettes pleines de fruits), des passages difficiles (sauter entre 2 immeubles), techniques (nager, conduire), psychologiques (ne pas écraser la petite fille), et de compter les points : plus les scores s’écartent, et plus le fuyard prend l’avantage. Si le suspect est rattrapé, on pourra faire durer le plaisir en reprenant la poursuite après un court combat. S’il y a trop d’écart, il faudra avoir une idée de génie ou prendre un risque majeur (sauter par un fenêtre plutôt que prendre les escaliers) pour rattraper le retard. Avec un minimum de préparation, il y a moyen de colorer de manière palpitante une simple suite de jets d’Athlétisme ou de Constitution 🙂 . On pourra jouer une musique rapide à base de percussions, genre ça.
Complément : pour les courses-poursuites, voir aussi cet article (XYROP), avec le concept d’asymétrie poursuivant/poursuivi.
- les obstacles payants
Un suspect n’ayant pas les ressources athlétiques de Daniel Craig pourra jouer de quelques dollars pour convaincre un gamin des rues, une prostituée, ou une racaille de ralentir son poursuivant. Ainsi, il rentrera dans un bar/restaurant, et pendant que l’investigateur tentera de se débarrasser de son « nouvel ami », il aura le temps de s’échapper par les toilettes ou les cuisines. La racaille pourrait même engager un combat, tandis qu’un gamin pourrait avoir le soutient des adultes autour.
- les obstacles volontaires
Après, pas forcément besoin de payer pour ça : un mec bourré pourra faire le job gratuitement (et même sans qu’on lui demande !) De même pour un groupe de mendiants rassemblés autour d’un brasero dans une ruelle malfamée. Il suffira au méchant de dire qu’il est poursuivi par un « poulet » et les bougres s’arrangeront pour ralentir le PJ du mieux qu’ils peuvent 🙂 .
À l’inverse, le suspect peut utiliser la police à son avantage. Il se dirigera tranquillement vers le premier agent de police en service et lui expliquera que ce « type louche » (le PJ) n’arrête pas de le suivre. Chaque jet de Baratin/Persuasion raté avec le flic borné fera perdre une unité d’avance au PJ sur le suspect.
- les feintes classiques
– se planquer au détour d’une rue et se retrouver derrière le poursuivant
– se planquer au détour d’une rue et attaquer par surprise
– un déménagement ou des travaux ? cacher son visage en portant une caisse
– se fondre dans un cortège, une manif, ou un carnaval
– monter dans un ascenseur
– sauter dans un bus / métro au dernier moment
– traverser la voie ferrée juste avant le passage du train
– sauter depuis un pont sur un camion / train / péniche
– improviser un déguisement (magasin d’habits, de perruques)
– traverser une rue avec circulation intense
– piquer un vélo / moto / voiture (en jertant le conducteur)
– en voiture : démarrer au feu rouge
– etc…
Le PJ déjouera ces feintes grâce à des jets (parfois en opposition) dans la compétence appropriée, par exemple TOC si le suspect s’est fondu dans un carnaval, Athlétisme pour traverser la rue sans se faire écraser, ou Chance pour trouver une bicyclette. Encore une fois, chaque échec fera perdre une unité d’avance au PJ sur le suspect.
- la confrontation
Le suspect sort un paquet de cigarettes et s’en glisse une dans le bec, puis il fouille ses poches vraisemblablement à la recherche d’un briquet, en vain. Il marche alors nonchalamment dans ta direction et te demande : « Vous avez du feu ? Et accessoirement, vous pourriez arrêter de me suivre, s’il vous plaît ? » …
Voilà, en espérant que ces quelques idées pourront vous servir à colorer vos scènes de fouille ou de filature, et à faire transpirer vos joueurs et leurs PJ. Si vous avez des idées, postez-les et je les rajouterai dans l’article, afin que tout le monde en profite ! 😉
Très intéressant cet article. C’st vrai qu’il faut parvenir à renouveler ce genre de scène et que ce n’est pas toujours si évident.
Tu as aussi pour le premier lising
l’incendie qui se déclenche, l’innondation ou la fuite de gaz
Ah ! Un autre MJ sadique ! 🙂
En effet, l’idéal étant la fuite de gaz ET l’incendie 😈 . Je rajoute une section « Incidents domestiques ».