Mais qu’est-ce que l’hypnose vient faire ici ? Pas de panique, vous êtes bien sur un site consacré au JDR, mais si vous avez correctement lu la section À propos, vous ne devriez pas être surpris, puisque j’avais annoncé que j’aborderais des sujets connexes, tels que la psychologie, les neurosciences et la biologie. L’idée étant d’y chercher des convergences, des inspirations, afin d’améliorer notre pratique du JDR. Non, ma santé mentale est intacte (je crois), et je pense qu’il y a de nombreux points communs entre l’hypnose et le JDR. Vous ne croyez pas ? Honnêtement, entre un type assis à une table, qui écoute un autre type planqué derrière un bout de carton lui déblatérer :
Après avoir enfourché le dragon qui déploie ses gigantesques ailes, tu t’envoles en direction de la cité inconnue, tu te sens le maître du monde…
Un MJ
et un type allongé sur un divan, avec un autre type derrière lui qui prend des notes et lui dit :
Vous sentez une chaleur envahir votre corps, vos paupières deviennent lourdes et s’affaissent progressivement, vous vous sentez bien, vous flottez…
Un Hypnothérapeute
Il y a quand même un petit air de famille non ? C’est l’idée de base. J’ai eu envie de voir jusqu’où la comparaison pouvait être poussée, et si nous les rôlistes pouvions tirer profit des techniques utilisées en hypnose. Mais d’abord, quelques définitions.
L’hypnose
Avant toute chose, sachez que l’hypnose est un fait scientifiquement établit. C’est vrai, ça existe ! On l’utilise en milieu médical, que ce soit pour réduire l’anxiété des patients ou pour diminuer la sensibilité à la douleur. Il y a quelques grandes types d’hypnose : de spectacle, classique, ericksonienne, humaniste. Je ne suis pas expert donc je ne veux pas dire de bêtises, renseignez-vous : j’ai mis quelques liens à la fin de l’article. Ce podcast couvre bien le sujet.
Il faut aussi savoir que l’hypnose n’est pas un état de sommeil, que le sujet reste conscient, qu’il ne devient pas la marionnette de l’hypnotiseur. Cette image de contrôle total est une fausse idée répandue par l’hypnose de spectacle, du genre Messmer. Messmer hypnotise vraiment les gens mais 1) il choisit au préalable les sujets les plus réceptifs 2) il y a des effets de psychologie de groupe qui entrent en jeu. Non, l’hypnose est un phénomène tout à fait naturel, un état d’absorption profonde, un peu comme quand on est captivé par un bon livre, ou comme des enfants quand ils jouent « aux cow-boys et aux indiens ».
Contrairement à une idée répandue selon laquelle l’hypnose est une forme d’inconscience ressemblant au sommeil, des recherches récentes suggèrent que les sujets hypnotisés sont pleinement éveillés et qu’ils focalisent leur attention.
Wikipedia
Un mode de fonctionnement psychologique dans lequel un sujet, grâce à l’intervention d’une autre personne, parvient à faire abstraction de la réalité environnante, tout en restant en relation avec l’accompagnateur.
Jean Godin
Où la comparaison s’arrête
En fait, l’hypnose est un outil, pas une fin en soi. C’est à dire que le psychothérapeute comportementaliste utilisera l’hypnose pour changer les routines mentales du patient, le psychanalyste utilisera l’hypnose pour atteindre l’inconscient de son patient, et le pédiatre utilisera l’hypnose pour faire croire au gosse que les seringues, ça fait pas mal. Les sportifs utilisent l’hypnose pour se préparer à des compétitions, d’autres l’utilisent pour arrêter de fumer ou de se goinfrer, bref ça sert à plein de trucs.
Mais alors quid du JDR ? Je me rends compte en écrivant cet article que malgré des points communs apparents, il sera difficile d’appliquer directement les techniques d’hypnose au JDR. En effet, la plupart des techniques sont orientées vers la thérapeutique, alors qu’en JDR, on est pas là pour soigner, soulager, ou changer le comportement des joueurs. Cependant, il y a quelques p’tites techniques qui peuvent venir inspirer notre pratique du JDR, en particulier pour la façon dont le MJ fait ses descriptions et pose une ambiance. Je vous balance en vrac certaines techniques qui ont retenu mon attention, à vous de voir si vous pensez pouvoir les intégrer à votre pratique 🙂 .
Techniques générales
- Le rituel
Le rituel a pour effet de mettre le patient dans des conditions favorables avant la séance proprement dite. À la fois le patient et l’hypnotiseur endossent leur rôle respectif. Le patient se met alors en mode « type-qui-va-se-faire-hypnotiser ». Le rituel peut consister en une simple phrase « nous allons maintenant commencer la séance », passer par le corps (s’asseoir dans un fauteuil prévu à cet effet), ou bien en passant une certaine musique d’ambiance.
- Le VAKOG
Acronyme signifiant Visuel – Auditif – Kinesthésique – Olfactif – Gustatif. Autrement dit, les canaux sensoriels que nous utilisons pour percevoir et mémoriser le monde environnant. On suppose que la plupart des individus ont un, voire deux mode(s) de communication privilégié(s). L’hypnotiseur essaiera d’identifier les canaux sensoriels utilisés par le patient et s’en servira dans sa communication.
- La communication non-verbale
Les expressions faciales, les postures corporelles, l’intonation et le rythme de la voix, perçus de manière inconsciente, doivent être en accord avec le sens des mots, perçu de manière consciente (on parle alors de congruence). Si vous dites au patient que vous vous occupez attentivement de son cas tout en faisant un clin d’oeuil à l’infirmière, il y a incongruence. Cela peut créer un malaise (même inconsciemment) qui donne la sensation que l’interlocuteur ne maîtrise pas son sujet, qu’il ne croit pas ce qu’il dit, et cela nuit à la communication.
Le langage hypnotique
- Le choix des mots
Éviter les mots alambiqués, utiliser un langage simple, si possible en réutilisant le registre lexical du patient.
- La syntaxe hypnotique
Les choses sont formulées dans l’esprit du positif et du mouvement. Plutôt que « mais » ou « si », on préférera des mots comme « tandis que » ou « quand ». Les négations n’ont pas de sens pour l’inconscient : « ne pensez pas à un éléphant rose ». Tout bouge, change et se transforme progressivement, graduellement.
- Le saupoudrage
On suggère indirectement un état interne (par example la détente) en insérant dans les phrases des mots, des adjectifs et des adverbes qui évoquent implicitement cet état : silence, chaleur, calme, coton, chaud, doucement, lentement, …
- Séquences d’acceptation
Pour faire passer une suggestion, on commencera par des affirmations évidentes, que le patient ne peut pas nier, et on placera la suggestion à la suite : « Vous êtes là devant moi, vous entendez ma voix et vous vous détendez progressivement. »
- La confusion
En saturant le cerveau gauche (analytique) avec des phrases à la logique alambiquée, on peut envoyer des suggestions directement au cerveau droit (imagination, intuition) sans qu’elles passent par le filtre « rationnel ».
- La dissociation
Elle scinde l’esprit du patient en deux parties : observateur et acteur. Les parties du corps et les émotions deviennent sujets : Le patient ne ferme pas les paupières, ce sont les paupières qui se ferment. Il n’évacue pas son stress, c’est le stress qui s’éloigne et disparaît. Le patient s’installe ainsi en position d’observateur et n’a plus à fournir le moindre effort.
Et maintenant ?
Clairement, les « techniques générales » sont déjà utilisées par nos MJ, pour poser l’ambiance et faire leurs descriptions. Donc rien de vraiment neuf. Les techniques hypnotiques ne sont après tout que des techniques de communication. Quant au langage hypnotique, ça pue la manipulation à plein nez ! Mais alors, cet article ne sert à rien ?
Eh oui ! 🙂
Enfin presque… Je pense quand même que le langage hypnotique peut trouver son utilité dans des scènes de jeu un peu particulières, que l’on rencontre souvent dans un jeu comme l’Appel de Cthulhu. Par exemple :
- séance d’hypnose
- séance de spiritisme
- rituel magique
- prise de conscience
- prise de drogues
- épisode aiguë d’insanité
- possession
- lecture de livre du mythe
Je me rappelle avoir écrit un scénar où les joueurs, à un moment donné, doivent prendre une drogue et participer à un rituel avec un chamane indien, afin de retourner dans le passé pour changer le cours de l’histoire. Je ne me rappelle plus trop comment je l’ai fait jouer. Je crois que j’avais fait du VAKOG sans le savoir (musique chamanique, odeur âcre de la drogue, sensation de chaleur, anesthésie progressive du corps, sensation de s’élever, etc.). Si je devais le refaire maintenant, peut-être y ajouterais-je un peu de saupoudrage et de dissociation pour un meilleur résultat 🙂 . Je pourrais aussi proposer aux joueurs de fermer les yeux pendant cette scène…
Je pense aussi que la confusion et les séquences d’acceptations pourraient être très utiles lors des grosses prises de conscience, des folies passagères, et des pertes de SAN consécutives à une lecture occulte, et plus généralement dans toutes les scènes où le joueur attend que le MJ lui dise ce que son personnage ressent. Pendant ces scènes, nous avons une « fenêtre de tir » pendant laquelle le joueur nous écoute bien gentiment et attend qu’on lui décrive à quel point le mental de son PJ part en couille : c’est le moment d’en profiter ! Et ne nous voilons pas la face : ces explications visent le joueur, pas son PJ !
Que pourrait donner la technique de confusion, pour une lecture de livre du Mythe qui tournerait mal ? Peut-être un truc du genre : (avec la musique qui va bien)
Alors que tu achèves la deuxième lecture du début de la page que tu venais à peine d’entamer, tu es pris de violents maux de tête. Un bourdonnement s’insinue dans tes oreilles. Les phrases résonnent et se mélangent, l’une s’achevant avant que la précédente soit entamée. Un sifflement commence à te vriller les tympans. Tu te demandes depuis combien de temps tu lis ce maudit livre. Tu voulais finir ce chapitre en avance, au cas où la bibliothèque n’ouvrirait pas plus tôt et en prévision d’une fermeture anticipée. Une odeur métallique envahit doucement ton nez. Un type sur ta droite demande : « Vous allez bien monsieur ? ». Une autre voix, sur sa gauche mais venant de derrière toi, te répond en s’adressant à lui : « Oui, madame. C’est la deuxième porte rouge à droite. » Tout est confus et tourne autour de toi, du sang coule de ton nez, de tes oreilles… Ta volonté vacille, tes forces t’abandonnent.
Poc ! Ta tempe vient percuter la table d’un bruit sourd, le corps paralysé, les yeux et la bouche grand ouverts face au livre maudit.
Un MJ testant la technique de confusion
Mmm, à tester… J’ai justement un joueur qui se lance dans une lecture difficile ! 😈
Et vous, qu’en pensez-vous ? Utilisez-vous des techniques bizarres, voire manipulatoires, un langage particulier ou des effets de style similaires pour décrire ce type de scènes ? Voyez-vous d’autres rapprochements possibles entre hypnose et JDR ? Pourquoi ne pas jouer en s’allongeant dans un divan et en fermant les yeux ? Y a-t-il un psychologue dans la salle ?
Références
- Podcast L’hypnose contemporaine
- www.hypnose.fr
- www.realites-hypnotiques.fr
- street-hypnose.fr
- Christophe Coppin, Place des mots dans la pratique de l’hypnose en médecine générale.
- Bertrand Lau-Wen-Tai, Hypnose rapide au bloc opératoire.