Un PJ (ou un PNJ) :
Bon écoutez c’est simple : on lui demande gentiment, et s’il refuse de nous lâcher l’info, on l’emmène dans un endroit isolé et on le torture jusqu’à ce qu’il crache le morceau. Rien à foutre !
C’est déjà arrivé à votre table ? À la mienne, oui. Il y a en général deux alternatives : soit la victime est une petite frappe sans convictions et vraisemblablement, elle passera assez facilement aux aveux, soit c’est un convaincu et il restera silencieux jusqu’au dernier coup de bistouri / scie / marteau / pince coupante. On en est donc réduit en gros à deux possibilités : « Ok j’avoue ! » ou « Je ne parlerai jamaaais… », ce qui, en plus de banaliser une pratique discutable, est assez ennuyeux. Il serait plus intéressant d’avoir un petit système dédié afin de rendre la chose moins binaire et plus réaliste.
Mais avant de plonger dans l’horreur, j’aimerais me prémunir contre les critiques : Oui, la torture c’est mal. Quoi que… la question mérite d’être posée ! Quand la vie d’innocents est en jeu et qu’il n’y a pas d’autres options disponibles… Pourquoi pas ? C’est la question posée dans Unthinkable :
Aaaah les films américains… Vous allez me dire que c’est pas tous les scénarios qui amènent à un dilemme de cette ampleur. Je vous recommande alors l’excellent Prisoners, qui pose la même question mais de manière plus nuancée, avec des personnages plus proches de nous, et sans recourir à trois bombes atomiques 🙂 :
Mais bon, la question morale n’est pas le sujet de cet article. Je pars simplement du constat que les joueurs utilisent parfois cette méthode d’interrogatoire, et que des PNJ mal intentionnés peuvent aussi y recourir, puisque ce sont des méchants sans scrupules. La question morale pourra par contre donner lieu à d’intéressants débats roleplay.
Ce que j’aimerais proposer en revanche, c’est un système simple qui permettra de rendre la chose ludique de mettre les joueurs face à des choix, des dilemmes, ou des sacrifices. Pour un minimum de réalisme, il faudrait disposer de données empiriques sur la torture. Après avoir effectué quelques recherches, je n’ai pas pu trouver de données claires sur le sujet. Ce qui est sûr, c’est que la torture fonctionne pour terroriser une population, elle a un effet dissuasif. Ça marche aussi plutôt bien pour obtenir de faux aveux… Plusieurs sources s’accordent sur le fait que la torture n’est pas la meilleure méthode pour obtenir des informations fiables. Le rapport de la CIA sur les méthodes utilisées à Guantánamo va dans ce sens, et certaines données en neurosciences indiquent que le cerveau en état de stress extrême a plutôt tendance à cafouiller : la privation de sommeil prolongée peut même nous faire douter de notre propre nom ! Il y a toutefois un vague consensus sur les faits suivants :
- La victime dira n’importe quoi pour arrêter la souffrance.
- Elle pourra mentir, voire s’inventer de faux souvenirs suggérés par le tortionnaire.
- La torture laisse des séquelles psychologiques aux victimes.
- Le tortionnaire subit aussi des séquelles psychologiques, surtout s’il a torturé en vain, ce qui explique la tentation de parfois « aller jusqu’au bout ».
- L’interrogatoire « psychologique » (comprendre comment la victime fonctionne) donne de meilleurs résultats.
Je propose donc de structurer la séance de torture comme un combat, c’est à dire en rounds, à l’issue desquels la victime et son bourreau prennent de plus en plus de risques. À chaque round, le tortionnaire comme la victime risquent leur SAN, avec un effet « quitte ou double » pour le tortionnaire s’il a torturé en vain (par exemple si la victime n’avait pas l’information, ou si cette information s’avère au final inutile). Si la torture est de nature physique, la victime risque aussi sa vie / ses PV. Si la victime « craque » elle doit révéler les informations requises, mais la précision de ces informations dépendra de son état psychologique. La victime peut choisir de mentir, si elle parle avant de craquer. Dans un cas comme dans l’autre, Le tortionnaire n’aura pas de certitude absolue quant à la fiabilité des aveux. Il procédera donc à un jet de Psychologie avec un modificateur selon l’état de la victime.
Pour se faire, nous créerons une nouvelle caractéristique pour l’occasion : RES, qui représente la résistance à la torture. Initialement RES est égale au POU, mais elle sera amenée à diminuer au cours de la torture. On définit également sa compétence dérivée : la Résistance, qui vaut RES x 5 (qui diminuera en conséquence). Puis, chaque round se déroule comme suit :
Round
- Le tortionnaire choisit entre torture physique (électricité, instruments divers), psychologique (privation de sommeil, chantage affectif), ou improvisée (coups, balle dans le genou).
- Le tortionnaire et sa victime font des jets en opposition respectivement cachés. La compétence de torture est opposée à la Résistance de la victime.
- En fonction du résultat, la victime diminue sa RES et/ou ses PV selon la table suivante :
- Le tortionnaire et la victime font un jet de Santé Mentale, et diminuent leur SAN selon la table (gauche) suivante :
- En cas de succès critique, le tortionnaire, trop humain, fait un blocage. En proie à des conflits internes, il perd 3 points de SAN, sa main tremble, et il ne fera rien à ce round.
- Si, pour une raison ou une autre (blocage, évanouissement, folie temporaire, événements externes) le processus est interrompu, la victime bénéficie d’un répit qui lui donne un avantage, simulé en augmentant sa RES de 1D3 pour chaque round de répit.
- À la fin du round, le tortionnaire pourra (re)poser sa/ses question(s), ou continuer son ouvrage. Tant que la RES de la victime est strictement positive, elle est libre de se taire, d’avouer, ou de mentir (ou de cracher au visage de son tortionnaire). Par contre si sa RES est à 0 ou moins, elle doit avouer, mais selon les modalités indiquées ci-dessous.
Crache le morceau !
Le tortionnaire ne connaît pas la RES de la victime. Donc quand la victime parle, le tortionnaire ne sait pas si :
- Elle ment (RES > 0)
- Elle avoue spontanément (RES > 0)
- Elle dit la vérité mais l’information n’est pas fiable (RES < 0)
On simule ceci par un jet de Psychologie du tortionnaire, avec un bonus selon la règle suivante :
L’idée est la suivante : Face à un personnage au POU moyen (12), le jet de Psychologie subira un malus de 20% en début d’interrogatoire, et un bonus de 20% lorsque la victime est à RES=0 (craquage). Zéro est en quelque sorte la valeur optimale : un bonus de 20% et des informations exactes. En dessous de cette valeur, le bonus sera amélioré, la victime ne peut pas mentir, mais les informations sont de moins en moins fiables.
Certains joueurs voudront utiliser leur Baratin ou Persuasion en opposition au jet de Psychologie. Ceci ne sera possible que si la RES de leur PJ est positive. Si on veut appliquer cette règle quand la victime est un PNJ, il faudra faire un jet de « bruit derrière le paravent » si sa RES est négative, pour que le PJ-bourreau ne se doute pas que sa victime a déjà craqué.
Informations non fiables
Imprécisions : La victime a oublié des détails, peine à décrire ou reconnaître un visage, se souvient d’un nom de rue mais pas du numéro, etc.
Erreurs : La victime donne (involontairement) des informations erronées : elle a oublié qu’untel portait des lunettes ou une moustache, donne un mauvais numéro ou nom de rue.
Délires : La victime invente carrément des personnages ou des histoires qui n’existent pas, possiblement mixé avec des éléments réels.
Quitte ou double
L’effet « quitte ou double » se déclenche toujours pour la même raison : La torture a été vaine. Cela peut arriver par accident, par exemple si la victime succombe à ses blessures ou parvient à s’échapper avant d’avoir avoué. Mais le plus souvent, ce sera parce que la victime résiste et que les risques en termes de pertes de SAN deviennent alors trop importants pour le bourreau : Et si la victime ne savait rien ? Et si elle ne parlait jamais ? Et si elle était déjà dans la phase de délire ? Le joueur sait que si c’est le cas, les pertes seront doublées ! Mieux vaut alors s’arrêter avant qu’il ne soit trop tard… ou bien aller jusqu’au bout afin d’arracher des aveux et éviter le doublement des pertes ! Dilemme… 👿
Bien sûr, cet effet pourra avoir lieu à retardement. Tout dépend du temps qu’il faudra pour vérifier la véracité, et surtout, l’utilité des informations. Par exemple, vous parvenez à arracher l’identité de ce mystérieux personnage qui est le seul à pouvoir empêcher quelque terrible catastrophe. Après des semaines de recherches, vous retrouvez sa trace… à la morgue.
Précisions
- La psychologie fonctionne mieux que la torture physique ou improvisée, mais prend plus de temps. Typiquement, un round de charcutage durera 1 heure, tandis qu’un round de privation de sommeil durera 24 heures. Au gardien de juger.
- Les « bonnes » idées ou techniques, par exemple la technique du gentil flic et du méchant flic, donnent un bonus au tortionnaire sur le jet d’opposition. Le roleplay aussi : si la victime lance un « Si je parle je suis un homme mort ! » et que le bourreau n’a rien à lui répliquer, elle bénéficiera d’un bonus sur le jet d’opposition.
- La perte de SAN fonctionne de manière inversée (il vaut mieux rater son jet). Un esprit déshumanisé est plus apte à torturer / supporter la torture.
- Si la victime est un PNJ de second plan, le MJ pourra fixer à l’avance un seuil de PV/SAN/RES>0 en dessous duquel elle avouera spontanément, mais ça ne veut pas dire pour autant qu’elle sera crûe. Si c’est un vrai méchant, il n’avouera qu’après avoir craqué.
- Si le bourreau a été victime du tortionnaire auparavant, ou s’il y a un désir de vengeance personnelle, on pourra lui accorder un malus sur son jet de SAN (0-20%).
- Même si plusieurs bourreaux se relaient, ils subissent les pertes de SAN collectivement.
- Chaque fois que les compagnons du tortionnaire entendent/voient les cris/blessures de la victime, ils font aussi le jet de SAN.
- Les jets de Psychologie fonctionnent comme suit : Succès : le bourreau sait si la victime ment ou dit la vérité, Échec : le bourreau ne sait pas.
- Pour les matheux : modificateur au jet de Psychologie = 10 x RES / 3 – 20 %
CheatSheet à télécharger
Test
J’attendais qu’une occasion se présente dans ma campagne sans fin pour tester ce système avant de le publier. J’ai ainsi pu procéder à quelques ajustements. Je pensais que ça allait être lourd et trop centré sur les jets de dés. Mais j’ai été agréablement surpris : c’est plutôt fluide et surtout, ça procure un bon support de roleplay côté bourreau comme victime.
Les PJ essaient de mettre la main sur un type qui leur fait des crasses et leur échappe depuis des mois. Ils ont finalement réussi à l’attraper et l’ont donc naturellement emmené dans un bois et ligoté à poil à un arbre. Normal. Au début ils étaient impatients de « se faire » cette ordure, mais ils ont commencé à rire jaune alors que leur SAN diminuait et que le bougre leur résistait. Un des PJ est resté à la voiture pour se préserver, mais comme il entendait les hurlements et les supplications (jet d’Écouter), sa SAN a un peu morflé. L’enchaînement mécanique des rounds donne une terrible « crudité » à la scène, renforcée par les pertes de SAN : On sent qu’on est en train de faire quelque chose de « sale ». Après une deuxième balle dans le deuxième genou, une PJ fait une folie temporaire, interprétée roleplay par une irrépressible envie de vomir. Le méchant fait un échec critique sur le jet en opposition, que j’ai interprété par une révélation involontaire d’information. Ils ont utilisé cette information et la technique « gentil flic – méchant flic », ce qui leur a donné un bonus roleplay, et il a finalement craqué en 4 rounds, les implorant de le conduire à l’hôpital. Bien sûr, il a fini avec une balle entre les deux yeux, enterré non loin de l’arbre auquel il était attaché. En débriefing, les joueurs m’ont dit avoir trouvé le système intéressant. Je ne sais pas quand sera la prochaine occasion de l’utiliser, mais si vous l’essayez, faites-moi part de votre expérience et d’éventuelles suggestions d’amélioration ! 🙂
Petite discussion sur le forum de JDRVirtuel :
https://jdrvirtuel.com/viewtopic.php?f=19&t=26045
Je dois avouer que je n’avais pas pensé que la victime pouvait mentir et/ou que le tortionnaire pouvait ne pas croire les aveux et continuer la torture…
C’est très bien fait, bravo !
Merci 🙂
L’as-tu testé ?
Personnellement, j’ai opté pour un autre système et j’aimerais bien un avis 😁
J’ai pris un jeu de carte standard avec lequel je ne vais jouer qu’avec les habillés et les deux jokers.
Je distribue 7 carte au tortionnaire et 7 a la victime. Il reste donc 4 cartes de côté.
L’idée est de lancer une partie de « menteur », le bourreau commence et pose une carte face visible et annonce le type de la carte. Coeur, trèfle, pique ou carreaux. Il pourrait aussi choisir la valeur (roi, reine, Valais ou as). Pour l’exemple on va dire cœur,
La victime (le MJ) pose alors une carte face cachée par dessus et annonce également cœur. Puis c’est au tour du bourreau et ainsi de suite. Lorsqu’un joueur pense que son adversaire ment et à jouer une carte autre que celle annoncée, il accuse l’autre de menteur et révèle la carte.si c’est bel et bien là carte annoncée ou un joker, il s’est trompé et il en assumera les conséquences (cf ci dessous). Si par contre la carte ne correspond pas, il a bien déceler un mensonge.
Admettons que le bourreau annonce un mensonge et qu’il a raison ou que la victime annonce un mensonge et se soit trompée. Il obtient une info ou alors une partie de l’information selon l’importance de cette dernière. Une petite frappe crachera le morceau immédiatement alors qu’il faudra plusieurs séances pour faire parler un grand méchant. Il pourra recommencer une scéance de torture (relancer une partie) si il souhaite avoir plus d’informations.
Si il s’est trompé ou alors que la victime l’a traité de menteur et a raison, le tortionnaire perd 1 point de santé mentale moins son aplomb. Si cela ce répète il en perd 2 moins son aplomb, puis 3 etc, etc…
On peut imaginer que la victime lui résiste ou lui ment. On peut appuyer le doute en lui disant « ce que je vais te dire est soit la vérité, soit un mensonge, je te laisse juger… ».
Si par contre il se rend compte qu’il a torturé un innocent, il perd autant de point de santé mentale que le MJ juge nécessaire. J’aime bien me dire que plus il joue de cartes, plus il va loin dans l’horreur.
Je lui ai également donner une compétence « torture ». Après avoir distribué les cartes, il fais un jet de torture :
– Réussite ordinaire : il pioche une carte parmi les 4 qui n’ont pas été distribuées et en prend connaissance.
– Réussite majeure : 2 cartes
– Extrême : 3
– Critique : il prend les 4 cartes.
– Échec : il ne pioche rien
– Échec critique : le MJ pioche 1D4/ cartes ou la totalité selon l’humeur.
Il peut obtenir des dés bonus si il trouve et explique une méthode de torture originale ou si il obtient de l’aide d’un autre joueur ou PNJ pour un maximum de 2 dés bonus.
Cependant si celui qui l’aide n’a pas la capacité « torture » inscrite sur sa fiche, il perd 1D/10 point de santé mentale à chaque « partie »
Salut,
J’aime bien l’idée d’utiliser des cartes et le fait d’introduire du bluff dans la résolution. En effet, il y a bien cette idée de bluff qui entre en jeu, notamment dans le cadre d’un interrogatoire plus psychologique. Par contre il me semble manquer la gestion des PV en cas de torture physique (ou bien c’est juste un jet d’attaque normal?)
Tu as aussi cette notion d’escalade qui me semble importante. Au total c’est plus simple que mon système, donc peut-être plus efficace en jeu, je testerai à l’occasion !
Et ca c’est bizarre sorti du contexte:
😀