Je vous mets ici, un (gros) copier-coller d’un post rédigé par Arkhodross (avec son autorisation), que j’ai dégoté par hasard sur le forum du site réussite critique. Il nous livre le résultat de pas moins de 15 ans d’expérience de maîtrise, présenté de manière claire et exhaustive. J’ai trouvé ça vraiment intéressant, et en résonance avec ma propre petite expérience. Ceux qui ont lu mon article sur le Théâtre d’Ombres verront la similitude avec son approche Ambiance, Immersion, Rythme et Enjeux. Bref, j’adhère à 100% et je pense que cela pourra éclairer la plupart d’entre nous, même les moins « jeunes » 🙂 . Bonne lecture !
Je vais essayer de résumer en quelques points les bases de ma méthode.
Ces quinze dernières années, j’ai modestement accumulé une expérience de Maîtrise assez intense, MAIS ceci ne constitue que ma propre vision du rôle d’un MJ et de ce qui constitue une « bonne » partie. Je vais essayer, tout du moins, de soulever des questions importantes qui peuvent servir à tous les « jeunes » MJ qui pourraient me lire.
Les règles d’Or avant de commencer
Le Jeu de Rôle est avant tout un Art Récréatif et Collectif de la Narration
Ceci signifie que la priorité des priorités, c’est de RACONTER ENSEMBLE une bonne histoire en s’AMUSANT (tous).
Connais-toi, toi-même, et connais ton ennemi
Avant toute chose, sachez où vous allez. Même si une très longue campagne (le genre qui dure plusieurs années) peut traverser toutes sortes de phases et d’arcs narratifs, à chacun de ces arcs correspond un style, un rythme et une saveur spécifique. La première chose dont vous devez vous assurer, c’est que tout le monde soit sur la même longueur d’onde. Planifiez une séance « concertation » avec vos joueurs pour décider collectivement ce dont vous avez envie.
- Quel genre d’Univers (Futuriste, Fantasy, Post-Apo, Contemporain, …) ?
- Quel genre d’histoire (Enquête, Aventure, Horreur, …) ?
- Quel genre de personnage (Héros épiques, Aventuriers, Gens ordinaires, …) ?
Toutes ces questions, et d’autres, vont déterminer clairement le thème de la partie. Rien n’est plus frustrant que de jouer un personnage « hors sujet » (à moins que ce ne soit un choix délibéré) et de se sentir à l’écart de l’action.
De même, essayez d’analyser au fur-et-à-mesure vos forces, vos faiblesses, vos objectifs pour pouvoir faire des choix pertinents, capitaliser sur vos atouts et travailler sur vos manques. Un bon outil, déjà évoqué, consiste à demander du feed-back honnête et constructif à vos joueurs.
Enfin, vous devriez également apprendre à connaître vos joueurs, leurs manies, leurs envies, leur style, non pas pour toujours leur « donner » nécessairement ce qu’ils veulent (parce que sortir vos joueurs de leur zone de confort est AUSSI un ressort narratif) mais pour pouvoir anticiper leurs réactions (à eux, pas à leur perso).
Bref, connaître pour pouvoir analyser et anticiper, est la base de tout.
Le Quatuor Gagnant : Ambiance, Immersion, Rythme et Enjeux
Ces quatre idées forment vraiment la base des objectifs à garder en tête, ce sont les clefs d’une bonne partie. Je vais essayer de les décrire et de souligner les principaux points importants.
1. Ambiance
L’ambiance, c’est la tâche principale du MJ. Personne ne peut décrire exhaustivement un lieu, un personnage ou une situation. La description orale par le MJ n’atteindra jamais le niveau de complexité d’une réalité. C’est là qu’intervient l’ambiance. Construire une ambiance, c’est donner à voir sans décrire exhaustivement, c’est user de l’évocation. Créer une ambiance passe donc toujours par le recours à des « codes » qui font référence à une culture commune aux joueurs, à un inconscient collectif.
Exemple : Si dans un contexte technologico-futuriste, je prononce le mot « Matrice »… tout le monde pense à la même chose, le film des Wachowski. Pourtant, une matrice, c’est historiquement d’abord et avant tout un organe de l’anatomie féminine (et je vous parle même pas du sens mathématique du mot). Mais l’AMBIANCE (ici, le contexte technologico-futuriste) a capitalisé sur l’inconscient collectif, sur nos références culturelles communes pour faire jaillir dans votre esprit LA définition de Matrice que je voulais évoquer chez vous… et avec cette définition toutes sortes de notions précises sur ce que peut être la « Matrice » à laquelle je fais référence, probablement un espace virtuel soutenu par une forme de technologie informatique.
TOUT est prétexte à installer une ambiance : Le choix des mots, le ton utilisé, le rythme de la parole, les références, les descriptions… travaillez votre ambiance avec soin et vos joueurs vous le rendrons, leur jeu étant investi en proportion de votre propre investissement. L’Ambiance est le plus puissant pouvoir du MJ et c’est le catalyseur du concept suivant : l’Immersion.
2. Immersion
Vous êtes le garant de l’Immersion. l’Immersion c’est ce moment où tout le monde oublie qu’il est assis à une table avec une bande de copains en sirotant une bière et des chips, quand tout ce qu’il voit et entend, c’est le bruit des sabots, le brouhaha d’une foule sur un marché, les tirs de pisto-lasers… Quand on arrête de penser en terme de jeu et de personnage, mais qu’on EST son personnage, qu’on ressent sa colère, sa tristesse, son excitation. L’Immersion naît de l’Ambiance et s’appuie sur le Rythme et les Enjeux (dont je vais parler ensuite) mais surtout, il naît d’une certaine rigueur, et cette rigueur c’est à vous de l’incarner.
Vous devez vous assurer que l’attention des joueurs est en permanence tournée vers la partie. Les joueurs ont une certaine tendance à digresser, à s’égarer, à déconner, ils ont besoin de recadrage. Ne vous confrontez pas à eux directement, au risque de les agacer, soyez plus subtil. Ramenez-les toujours à des considérations de jeu. Interpellez-les sur leurs actions, faites des descriptions supplémentaires (éventuellement agrémentés de jets de vigilance), faites intervenir des PNJ, amenez un peu d’imprévu, si déconnade il y a, arrangez-vous pour qu’on déconne à propos du jeu et, au besoin, faites-leur sentir que pendant qu’ils digressent, le temps continue à s’écouler dans le jeu… sans eux…
Enfin, ne vous laissez pas trop aller à digresser, vous-même, et continuez avec opiniâtreté à jouer votre rôle. Bref, le Jdr est une activité très enrichissante, mais aussi exigeante, soyez exigeant avec vous-même et les joueurs suivront votre exemple.
3. Rythme
Du quatuor gagnant, le rythme est le plus ardu à maîtriser. Pour schématiser, il y a quatre rythmes de narration dans une partie de Jdr : L’Action, Le Jeu, Le Méta-Jeu et l’Ellipse, classés ici du plus rapide au plus lent.
L’Action est le rythme le plus soutenu et aussi le plus exhaustif (TOUT y est décrit en détail), utilisé pour des situations qui évoluent rapidement avec beaucoup d’enjeux (Combats, course poursuite, …).
Le Jeu est le mode de narration par défaut, utilisé pour toutes les scènes continues (Conversations avec des PNJ, exploration, …), les joueurs sont libres de faire tout ce qu’ils veulent, dans l’ordre où ils le veulent et l’interprétation des personnages se fait à la première personne (donc beaucoup de « jeu d’acteur »).
Le Méta-Jeu est le mode le moins exhaustif et le plus lent, il sert surtout à « faire passer » des périodes de temps de longueur moyenne, durant lesquelles, à priori, rien de très palpitant ne risque de se passer, on y décrit succinctement les événements en concertation avec le MJ (« Je vais en ville me faire tailler un nouveau vêtement, j’écris une lettre romantique à la Duchesse d’Avreuil et je vais à l’église pour confesser ma lubricité à son endroit »).
Enfin l’Ellipse est en fait presque un Non-jeu puisqu’il s’agit de « laisser passer » de longues périodes de temps, des semaines, des mois, des années… trop longue même pour du Méta-Jeu, et dans ce cas, les descriptions des événements intermédiaires sont réduites au strict minimum. Bien que parfois, ces descriptions minimales puisse valoir la peine de voir chaque joueur quelques heures en privé pour discuter des développements de son perso pendant ce laps de temps.
Gérer ces différents modes de narration est capital afin qu’il n’y ait pas de temps mort, que l’action ne ralentisse pas trop tout en laissant un maximum de liberté aux joueurs et en ne frustrant pas leurs désirs éventuels de poursuivre des conversations ou des actions qui leur paraissent importantes. Si tous les joueurs étaient d’accord et/ou avaient les mêmes intérêts, ce choix serait facile, malheureusement, la plupart du temps, les joueurs ne s’investissent pas tous à part égale dans les différentes phases. Il faut donc maintenir un équilibre délicat permettant à tous de « jouer » l’essentiel des scènes qui leur paraissent importantes tout en ne laissant pas ralentir l’action excessivement en usant de Méta-jeu pour « passer » les éventuels temps morts.
En terme de rythme le maître mot est « Adaptabilité », ne restez pas coincé dans un type de narration. Si la situation l’exige ou si un joueur en a besoin pour accomplir des actions qui ont une importance pour son personnage, n’hésitez jamais à changer de mode de narration.
4. Enjeux
Dernier mais néanmoins très important, les enjeux. C’est le véritable moteur d’une partie. Si un rythme inadapté peu compromettre l’Immersion des joueurs, l’absence d’enjeu, elle, est un obstacle irrémédiable. Ce qu’il faut comprendre c’est la différence entre enjeux et objectifs. Les objectifs sont choisis par les joueurs, pas par vous, c’est eux qui décident ce que « veulent » leurs personnages, mais c’est VOUS qui êtes en charge des « enjeux ».
Pour créer de l’enjeu, il faut avoir atteint les 3 objectifs précédents, si l’ambiance et le rythme n’ont pas permis une bonne immersion, il est impossible que les joueurs se « sentent » concernés par les objectifs de leurs personnages, il n’y a donc aucun enjeu. Mais ça ne suffit pas. Créer de l’enjeu c’est avoir une connaissance suffisamment profonde de la personnalité de chaque personnage pour construire des situations qui vont éveiller en lui une passion suffisante pour se « lancer » dans l’aventure. C’est le pivot central de l’histoire collective que constitue le Jdr : Connaître les personnages pour Créer des Enjeux qui éveillent leurs passions. Ainsi, ils deviendront eux-mêmes les moteurs de l’aventure car ce sont précisément ces passions (et donc ces enjeux) qui les pousseront a devenir ACTEURS de l’histoire et à ne pas la « subir » passivement.
Adversité, Temps et Récompenses
Pour approfondir les notions de Rythme et d’Enjeu, je voudrais poursuivre en traitant d’adversité, de temps et de récompense. Il faut un équilibre délicat entre ces trois valeurs. Le temps, d’abord est très important. Apprenez à être patient et à donner le temps à une histoire de gagner en profondeur. De très bonnes histoires, d’excellentes situations (du point de vue narratif) peuvent aisément être gâchées par trop de précipitation. Il faut du temps aux joueurs pour s’interroger, pour pester sur les mystères qu’ils n’arrivent pas à percer, sur les ennemis qu’ils n’arrivent pas à rattraper, si toute une intrigue se dénoue au cours de la même partie, elle laissera le goût d’une péripétie passagère, si elle dure quelque temps, son dénouement sera plus jouissif et donc plus mémorable. Mais attention à ne pas en faire trop. Le temps peut être long mais pas vide. Veillez à ce que l’histoire reste rythmée et continue d’avancer au risque de perdre l’attention de votre auditoire.
De la Récompense et de l’Adversité, c’est, contrairement à l’intuition, la dernière la plus importante. L’aventure C’EST l’adversité. L’Adversité est ce qui entraîne le héro dans l’aventure et elle en constitue toute l’épreuve. N’ayez pas peur de maltraiter vos joueurs, leurs personnages doivent souffrir, et souffrir vraiment. Prendre 5 points de dégâts n’est pas une souffrance. Traîner une blessure pendant des semaines, qui empire, qui menace de tuer, qui handicape de façon atroce, ça c’est souffrir. Perdre une personne chère, ça c’est souffrir. Être humilié publiquement par son ennemi juré, ça c’est souffrir. L’Adversité est un formidable moyen de créer de l’Enjeu et d’impliquer vos joueurs. Encore une fois, il faut garder un équilibre. Si les joueurs ne font QUE souffrir, il se lasseront. C’est précisément le rôle des « Récompenses ».
Dans récompenses, je classe tout ce qui constitue un avancement pour un personnage. Les équipements et les points d’EXP étant souvent les plus classiques et les moins intéressantes. En général des informations intéressantes ou faisant progresser l’histoire, la reconnaissance de nouveaux alliés ou la conquête de certains objectifs sont souvent des récompenses plus intéressantes du point de vue de l’histoire. Pour que le Temps et l’Adversité ne deviennent pas un fardeau, il faut que les joueurs « conquièrent » de temps en temps une « récompense » qui donne du sens à leurs souffrance. Néanmoins, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, il ne faut pas leur « donner » ces récompenses », il faut qu’ils les méritent, si possible de haute lutte (ce qui renforcera leur valeur). Mais gardez en tête qu’il faut, de temps en temps, pas nécessairement souvent mais régulièrement, que les personnages « obtiennent » de petites victoires qui marquent les temps forts de l’avancement de l’histoire et qui donnent du sens à leurs efforts.
Dernière remarque : Selon mon expérience, Tuer un joueur n’est pas un ressort narratif intéressant. Quand on a investit beaucoup de temps et d’efforts dans un personnage, et à moins de circonstances particulières (genre se suicider pour sauver le monde), mourir est juste nul et frustrant. Ceci ne veut pas dire qu’il ne faut JAMAIS le faire. Pour que les joueurs prennent votre univers au sérieux, il faut que la menace de mort soit bien présente. Mais ceci devrait être une solution de dernier recours pour sanctionner un comportement réellement inconscient et seulement après avoir pris d’autres mesures pour ramener le joueur à plus de sérieux et lui avoir ouvert des portes de sortie. Mourir ne peut être que la conséquence d’un joueur qui le cherche VRAIMENT. En réalité, il existe des tas de conséquences tout aussi « sanctionnantes » que la mort et plus intéressantes d’un point de vue narratif. (Graves blessures/Conséquences, Pertes de Biens/de Proches, Défaites…)
Planifier, oui, mais Systémique
Beaucoup de MJ (surtout débutants) pensent qu’ils doivent beaucoup planifier et parlent volontiers de « Scénario » (à la manière d’un réalisateur). Je pense pour ma part que c’est une impasse. L’essence du Jdr c’est de laisser une totale liberté d’interprétation aux Joueurs. Or, qui a maîtrisé quelques années sait qu’on ne peut PAS prévoir les actions des joueurs. Dans ce cas, trois solutions, soit on s’obstine à vouloir écrire un « scénario » et, aussi ramifié soit-il, il viendra un moment ou ce scénario entrera forcément en contradiction avec les désirs des joueurs, soit on abandonne totalement l’idée de planification et on y va « à l’instinct », comme disent certains, ce qui a tendance à donner des histoires qui n’ont ni queue ni tête, soit on adopte une autre méthode, la méthode que j’appelle « Systémique ».
J’invoque ici le tout puissant Wiktionnaire : systémique (\sis.te.mik\ masculin et féminin identiques) – Relatif à un système.
L’idée est donc, non pas de créer un scénario comprenant les diverses étapes et possibilités d’évolution de l’histoire, mais plutôt de créer un « Système » avec une suffisamment forte logique interne pour pouvoir faire évoluer ce système au fur et à mesure des événements.
Exemple : Au lieu de créer un scénario du Type : L’objectif du Scénario est d’empêcher l’organisation « A » d’atteindre son but « B ». Les joueurs vont à l’endroit « C », découvre l’info « D » et peuvent aller soit à l’endroit « E » soit voir le PNJ « F »… Je propose de créer un système du genre : L’organisation « A » poursuit l’objectif « B ». Le PNJ « C » est en train de faire « D ». L’Endroit « E » est occupé par « F »… Puis laisser les joueurs évoluer à leur guise dans ce système. Chaque fois que les joueurs entreprennent une action, il suffit de se poser les questions suivantes : Qui est au courant ? Comment cela va-t-il influencer les décisions des autres groupes ?
En tenant compte de ce que chaque « groupe » ou « PNJ » possède comme information et quels sont ses objectifs, vous pourrez, de jour en jour, déduire assez facilement quelles sont les actions de chaque groupe. Cette méthode va donner une saveur beaucoup plus naturelle et organique à vos parties. Les joueurs se rendront vite compte qu’ils sont « vraiment » libres mais que leurs actions ont des CONSÉQUENCES importantes. Cela ne fera que renforcer d’autant l’Immersion des joueurs et leur sentiment d’implication. De plus, cette méthode nécessite paradoxalement beaucoup moins de travail que de planifier les multiples ramifications d’une histoire scénarisée.
Pour rendre cette mécanique systémique plus « rebondissante », je conseille de planifier des « Événements », c’est à dire de très courtes scènes « scénarisées » qui vont venir briser la monotonie du récit en soulignant des événements importants (typiquement les conséquences d’une nouvelle prise de décision par un des groupes du « système ») et servir de point de départ pour de nouvelles sous-intrigues (où les joueurs sont à nouveau libres d’évoluer à leur guise).
Dernière remarque : Commencez MODESTE. Si vous êtes débutant, commencez petit. Ne vous lancez pas dans une histoire trop vaste, trop compliquée et trop longue pour débuter. Commencez par une histoire intéressante mais pas trop complexe et préparez la consciencieusement. Cela vous permettra de vous familiariser progressivement aux mécaniques de narration. Avec le temps et l’expérience vous pourrez progressivement tenter des choses plus audacieuses.
Libres dans leurs choix
Pour poursuivre sur l’idée d’une planification systémique, il est vital que la liberté des joueurs soit un fait indéniable et absolu. Je sais que les joueurs prennent parfois des décisions absurdes, qu’ils sont parfois de très mauvaise « composition » et que, globalement, cette liberté est une charge de travail supplémentaire pour le MJ qui doit s’arranger pour conserver la cohérence de l’Univers tout en permettant de raconter collectivement une histoire intéressante. Néanmoins, le MJ est au service de l’amusement des joueurs et cet amusement passe par cette liberté (qui est précisément la raison pour laquelle nous faisons du Jdr, nous affranchir d’une réalité parfois reloue). Cela veut dire que le MJ doit faire passer son confort après la liberté des PJ.
Exemple : Je vais prendre comme exemple l’épisode 11 de la saison 4 d’Aventure, « L’Effet Papillon ». On peut ergoter sur le bien-fondé de la décision finale de Fred d’appliquer un malus a posteriori sur le jet de Grunlek qui voulait tuer rapière-man et ainsi changer toute la ligne temporelle, mais par contre il est évident qu’il a tout fait pour essayer de dissuader Grunlek, puis de l’empêcher malgré sa décision de faire ce que son perso voulait faire. C’est dur, mais les PJ ont le droit de prendre des décisions dramatiques, voire même absurdes. Fred avait raison de souligner les éventuelles implications (et encore, Grunlek n’avait pas de connaissances particulières sur le fonctionnement du Temps) mais, selon moi, il n’aurait pas dû prendre parti.
Les joueurs sont totalement libres… mais il doivent accepter de faire face aux conséquences de leurs actes… aussi tragiques soient-elles. Bouleverser complètement la ligne temporelle et faire émerger des conséquences monumentales et potentiellement terribles, aurait été le meilleur moyen d’apprendre à Grunlek un peu de prudence… et aurait en même temps constitué une expérience de jeu beaucoup plus mémorable et jouissive.
Libres dans leur tête
Le MJ est destiné à transmettre beaucoup d’informations à ses joueurs : des perceptions, des savoirs, des expériences, … Mais ces informations doivent rester FACTUELLES et SUBJECTIVES. Factuelles parce que le MJ ne doit pas se mêler de ce que le personnages ressent, seulement de ce qu’il sait/perçoit, les émotions sont le domaine exclusif du joueur (sauf effets « magiques » qui pourraient infléchir « de force » les pensées du personnage) qui est libre de décider ce que son personnage pense/ressent en fonction des informations reçues.
Exemple : « Cela te paraît inhabituel » OK, « Tu n’aime pas ça. » PAS OK. La deuxième formulation est intrusive.
Subjectif, ensuite, parce que le MJ doit transmettre les informations telles que le personnage les obtient ou les possède, pas telles qu’elles SONT. Il y a une grosse différence.
Exemple : « Un sort émane de l’objet posé devant le malheureux, pénètre son corps et aspire son énergie vitale » est la réalité des faits, « Des volutes de fumée mauves apparaissent dans l’air comme de nulle part et pénètre le malheureux qui gémit et tombe à genoux » ça c’est ce que le personnage et susceptible de savoir.
Faites attention à ne pas donner des informations que les joueurs ne peuvent pas obtenir et ne les privez pas du plaisir de spéculer et de découvrir par eux-mêmes ce qu’il se passe autour d’eux.
Actions – Réactions
Un des outils qui aide le plus à l’immersion est le Principe d’Action-Réaction (ou Principe des Actions Réciproques), que dans le jargon on appelle Troisième Loi de Newton. Il est IMPÉRATIF que les joueurs constatent par eux même les conséquences palpables de leurs actions, à court terme bien sûr, mais surtout à long terme (ce qui vous permettra également de faire intervenir des éléments antérieur dans la suite de votre histoire et ainsi augmenter le niveau de complexité et de réalisme de votre Univers). Il doivent sentir que tous leurs choix, toutes leurs actions sont susceptible d’avoir des répercussions dans l’avenir.
N’hésitez pas à faire intervenir des PNJ’s vaincu ou trahis dans la suite de l’histoire, réfléchissez aux implications sociales (si les joueurs renversent un tyran quel nouvelle organisation sociale va émerger ?), réfléchissez aux implications personnelles (peut-être des proches des personnages vont-ils les juger pour ce qu’ils ont fait)… les autres personnes/groupes vont forcément apprendre ce qui s’est passé ou en constater les conséquences, comment vont-ils réagir ?
Le passé de votre histoire constitue une mine inépuisable de ressources qui seront les bienvenues dans la suite de l’histoire, renforceront l’impression de cohérence et convaincront définitivement vos joueurs que leur liberté est RÉELLE mais qu’elle a un PRIX, celui de devoir ASSUMER les conséquences de leurs actes… quelles qu’elles soient.
Un cadre projectif
Une fois atteint les trois piliers que sont la liberté des joueurs, les conséquences de leurs actes & la cohérence de l’univers, on peut enfin rêver de mettre en place une sorte d’idéal narratif, ce que j’appelle un « Cadre Projectif », c’est-à-dire un univers dont la cohérence sera telle que les joueurs pourront progressivement y faire des déductions (et se projeter dans l’avenir) sans avoir besoin d’être « aidés » par le MJ. Ce « Cadre Projectif » c’est le Graal du MJ.
Exemple : Un problème récurrent dans les univers fantastiques est celui de la Magie, de son origine, son fonctionnement et les règles qui la régissent. Vous saurez que vous aurez fait un bon travail sur ce sujet quand, à force d’expériences et de déduction, les joueurs seront à même de comprendre un nouveau et mystérieux phénomène magique rien qu’en observant ses effets et son fonctionnement sans qu’il vous faille en aucune façon leur suggérer de quoi il s’agit.
Parmi les autres sujets très sensibles dans ce domaine on trouve : La Politique, La Technologie, La « physique » de l’Univers, …
Enfin, c’est en atteignant cet « état de grâce » du « cadre projectif » que vous pourrez vraiment lâcher totalement la bride et laisser vos joueurs expérimenter une réelle liberté. Il seront à même de faire leurs propres choix, avec des intervention du MJ réduite au minimum, et donc de jouer le rôle qui leur plaira en s’impliquant activement dans un Univers dont ils ont acquis une compréhension intuitive. Laisser les joueurs écrire leur propre destinée, prendre les choses en mains, véritablement, et pouvoir s’effacer pour devenir l’éminence grise qui, en coulisse, manipule les événements pour les aider à construire l’histoire la plus enthousiasmante possible, c’est, à mon sens, l’objectif à atteindre.
A chacun sa place, à chacun sa gloire
Beaucoup de créateurs de systèmes de Jeu et de MJ s’inquiètent de conserver une certaine forme d’équité, de « balance »… Je pense que, dans le cadre du Jeu de Rôle, ce n’est pas aussi pertinent que dans d’autres media (Jeu Vidéo, Jeu de Société, Sport…). Même si, effectivement il convient de veiller à ce que le jeu conserve une forme d’équilibre, cette équité est surtout de nature narrative et ne concerne pas tant les règles.
Exemple : Mettons que je maîtrise une aventure heroic-fantasy « classique » (même si c’est un peu cliché), il y a de fortes chances que mes joueurs constituent un groupe complètement hétérogène. Certains useront de magie, d’autre pas, certains seront des combattant, certains des érudits, des personnages plus subtils ou plus directs, des agressifs, des pacifistes, des riches, des pauvres… Bref, ils seront tous différents et auront des compétences et des aspirations complètements divergents. Essayer, pour des raisons « Time-Out » de rendre ces persos « équivalents » est impossible et n’a aucun sens. En fait, le Jeu de Rôle offre tellement de possibilités et d’opportunités que ce n’est pas nécessaire. Tous les personnages ne pourront pas être d’aussi bons combattants, mais ils ne pourront pas tous non plus être les meilleurs diplomates…
Ce qui importe, ce n’est pas que les persos soient équivalents, c’est que chaque personnage trouve sa place dans l’histoire, une place où il brillera, à sa façon et qui donnera du sens à son existence. Réfléchissez bien à chaque personnage à table, à leurs forces, leurs faiblesses et leurs aspirations. Ensuite, faites en sorte d’ouvrir des portes, de proposer des situations qui permettront à chacun d’avoir son « arc » narratif et ses moments de gloire et d’adversité.
On porte tous son passé
Un personnage ne devrait jamais se résumer à une série de chiffres sur une fiche. Même, à l’extrême limite, cette fiche pleine de score, on pourrait s’en passer. En fait, un personnage c’est avant tout une description (physique et psychologique) et une HISTOIRE (majoritairement d’ailleurs). Cette histoire est capitale, vitale. Ce qu’est un personnage et sa façon de voir le monde et d’y réagir, tout cela est quasiment entièrement défini par son histoire, par ses origines et son vécu.
Avec le temps, la règle d’Or à ma table est devenue : Tu commences par écrire une histoire pour ton perso (en concertation avec le MJ), un Background comme disent nos amis anglophones, et après, on parlera de faire une fiche qui va avec. Je vous invite chaleureusement à inciter vos joueurs à écrire une histoire détaillée. Les personnages n’en seront que plus intéressants, plus recherchés. Bien sûr, il vous faut définir certaines limites et aider les joueurs à écrire un BG cohérent avec l’univers et correspondant à l’ambiance choisie pour la partie. Invitez les également à doter leurs personnages de faiblesses, de défauts et d’une histoire nuancée avec des victoires mais aussi des défaites… Vous ne pourrez bientôt plus vous en passer, le jeu en deviendra beaucoup plus intense.
Enfin, lors de la partie, FAITES INTERVENIR les histoires personnelles de vos joueurs. Pas nécessairement tout le temps, mais tenez en compte, accordez les avantages qui paraissent légitimes au vue du BG mais sachez aussi jouer des désavantages et des péripéties qui peuvent en émerger. Vous découvrirez que les joueurs seront surpris et enchantés lorsque l’histoire qu’ils auront consacré du temps à écrire interviendra dans la trame narrative du Jeu. Cette implication naturelle d’un personnage pour ce qui le touche de très près ne fera que renforcer formidablement l’immersion de vos joueurs.
Les Règles c’est le Mal
Dernier commentaire. La règle n°1, est que la parole du MJ a force de Loi. Les règles ont une utilité, celle de servir de guide à la résolution des actions. Elles introduisent un peu d’aléatoire (parfois trop à mon goût dans les règles d’Aventure par exemple) et cet aléatoire est le bienvenu, car il représente tous les petits impondérables de la VIE. Même quand on est le meilleur sauteur à la perche du monde, il arrive que l’on glisse juste avant de sauter et qu’on se vautre.
Les règles ont une utilité et, un minimum de règles permet d’encadrer la narration de façon efficace (notamment en empêchant les joueurs de pinailler) mais elles ne sont qu’un GUIDE, rien qu’un guide et elles doivent le rester.
Rien n’est plus énervant que lorsque les règles produisent des résultats contraires au bon sens, ou qu’on rate de façon formidable une action, qu’il est quasiment impossible de rater, à cause d’un jet improbable… C’est là que le MJ doit arbitrer et il ne doit avoir aucun remord à se débarrasser des règles pour le bien de la narration. En définitive, seule l’interprétation du MJ compte lorsqu’il s’agit de « traduire » la valeur d’un jet en terme de résultat dans le jeu.
Je conseille à tous les MD de s’abstraire des règles chaque fois que celles-ci mettent en péril la cohérence du jeu ou l’intérêt de l’histoire racontée. Ceci ne veut pas dire qu’il ne faut pas tenir compte des jets (notamment des fumbles ou des réussites critiques) ce n’est pas du tout ce que je dis. Tant qu’il est possible de faire quelque chose d’intéressant à partir des résultats obtenus, faites-le et, comme je le disais plus haut, cet aléatoire est le bienvenu et mettra souvent de l’animation dans une scène, mais surtout, ne vous laissez jamais entraîner à des actions désastreuses en terme de jeu (comme tuer un joueur par exemple) pour la simple raison que c’est ce qui est prévu par les règles. Les Règles ont leur utilité, mais il ne faut pas qu’elles deviennent un frein.
Le Jeu de Rôle est avant tout un Art Récréatif et Collectif de la Narration.
Ceci signifie que la priorité des priorités, c’est de RACONTER ENSEMBLE une bonne histoire en s’AMUSANT (tous).
Voilà, je pense avoir pas mal fait le tour de la question.
Il ne me reste qu’à espérer que tout ça vous aura inspiré à votre tour et à vous inviter à faire vos propres expériences en jouant le plus possible.
Bonne Maîtrise et bon Jeu à tous.
Un grand merci à Arkhodross pour avoir partagé ton expérience, et à faboo pour avoir pris l’initiative de retranscrire et publier tes propos sur son blog. Ca m’a donné envie de faire un tour sur le forum en question qui a l’air sympathique, mais effectivement ce genre de pavé a beaucoup plus sa place dans un blog pour une lecture au calme, que sur un forum ; )
Je vous le dis tout de suite, l’approche que j’ai du JDR est très semblable à la tienne et du coup mon commentaire ne sera vraisemblablement pas très intéressant !
Je pense que cet article est l’un des mieux écrits à destination des MJ, y compris des moins expérimentés en leur permettant d’aborder de manière assez globale les difficultés que l’on peut rencontrer quand on est MJ, sans rentrer dans du conseil de détail.
Finalement c’est toi aussi l’approche que tu sembles avoir choisi dans ta manière d’aborder le JDR : être systémique dans le sens où l’on perçoit dans ton texte les liens très forts d’interdépendance qu’il existe entre les différents éléments que tu décris (ambiance, immersion, rythme, etc). Je me souviens qu’en tant que MJ débutant, j’avais tendance à ne me focaliser que sur un élément à la fois, de l’ordre du détail de mise en scène, ou de scénario, sans avoir le recul nécessaire pour avoir une vision d’ensemble qui permettait de donner une cohérence. Et que finalement, avec un peu de recul, c’est pas si sorcier d’avoir un JDR qui tient la route !
Après mais là c’est mon cheval de bataille habituel, mais ô combien je suis d’accord avec toi concernant la « gestion » des règles. Pour moi, l’immersion, l’ambiance, le récit ne doit jamais passer au second plan face aux règles. Celles-ci, de mon point de vue en tout cas, ne sont là que pour SERVIR le récit et non pas dicter la conduite du MJ ! Dans une situation où elles s’avèrent trop complexes pour garder la fluidité, je ne peux que conseiller aux MJ de simplifier / truquer / bidouiller !
Je me permets de mettre un lien vers un article de mon blog qui parle de la gestion des combats : http://gardiendesarcanes.blogspot.fr/2011/04/la-description-des-combats.html [/mode promo off ^^] Il me parait en lien direct avec la dernière partie de l’article, parce que quand règle il y a, dans 95% du temps elles concernent les phases de combats.
En tout cas chapeau pour l’article, et chapeau pour le blog qui s’avère extrêmement riche en conseils et articles de fond sur le JDR. Ca me donne furieusement envie de m’y replonger !
Merci de ce commentaire enthousiaste ! 🙂
Effectivement, ce pavé d’Arkhodross méritait vraiment plus qu’un post sur un forum. Le mec a vraiment fait un sacré effort de réflexion et de synthèse. C’est pour ça que je lui ai demandé si je pouvais le repomper. 😀
C’est vrai que je me focalise pas mal sur l’immersion, l’ambiance et le récit, plutôt que sur les règles. Après je pense que c’est au final une affaire de goût… certains joueurs aiment bien les règles, car ça leur donne un certain contrôle…
Je vais essayer dans de prochains articles de me focaliser sur le rythme et le scénario en lui-même, qui me semblent être aussi des aspects clés de l’immersion… Mais pour cela je vais d’abord expérimenter avec un petit scénario « temps réel », c-a-d temps de jeu = temps de la fiction. À suivre…
ps: J’ai ajouté ton article sur le combat à ma section « Bibliothèque » (où il y a aussi ton article sur la folie 😉 )
Rétroliens : Bibliothèque – quefaitesvous