Réflexion de Tharabbor sur la création de scénarios authentiquement lovecraftiens. Retrouvez des critiques de jeux, les podcasts des Choses sur le Seuil, et autres contenus vidéo sur la chaîne Youtube de Tharrabor : Les Chroniques Tharabboriennes.
Pour créer et rédiger un bon scénario pour le JDR l’Appel de Cthulhu, il faut me semble-t-il, commencer par se rappeler que le mythe Lovecraftien doit être au centre même de ce projet. En effet, de la même façon que, si vous essayez de concevoir un bon scénario pour Runequest, (l’autre grand ancien motorisé également par le Basic RPG System, paru chez Chaosium), vous devez respecter les canons de l’univers qui s’y rattache: Glorantha, avec l’Appel de Cthulhu, vous ne pouvez faire l’économie des tropes obsessionnels que Lovecraft n’a cessé de développer tout au long de son œuvre.
Bien sûr, on pourra me rétorquer qu’il est tout à fait possible de concevoir un excellent scénario en mettant de côté le Mythe Lovecraftien, mais pour moi, dans ce cas-là, vous aurez produit un bon scénario de JDR horrifique ou de JDR d’enquête ou de pulp, mais en aucun cas un bon scénario de l’Appel de Cthulhu, ce qui est très différent. Évidemment, il nous est tous arrivé de détourner un système de jeu pour motoriser des univers de notre création personnelle, mais il faut cependant reconnaître, que certains jeux sont conçus pour être joués dans leur univers canonique, sous peine de passer à côté de leur proposition principale. D’ailleurs le Basic RPG System s’est fait presque une spécialité d’adapter son système de résolution avec les JDR qu’il motorise. Ainsi Elric est fait pour jouer dans l’univers de Ménilboné et il ne viendrait à personne l’idée de créer des personnages avec ce JDR pour les faire évoluer dans les Terres du milieu. D’ailleurs si cela arrivait, ce ne serait pas un problème en soi, si ce n’est que les joueurs, in fine, n’auraient tout simplement pas joué à Elric. C’est également la raison pour laquelle, si vous jouez à D&D avec deux maîtres de jeu différents et dans des univers qui n’ont rien à voir, vous n’avez, en fait pas joué au même jeu, mais à deux jeux motorisés avec les mêmes mécaniques de résolution. Et le fossé s’élargit encore, si l’on prend en compte les pratiques liées à chacune des tables, (plus ou moins roleplay, évitement du méta-jeu ou pas, etc).
Il est amusant de constater qu’avec l’Appel de Cthulhu, il s’est opéré un glissement au fil des ans. Dans les premières éditions, l’univers était volontairement au centre, et les scénarios proposés avaient tous un rapport plus ou moins direct avec le Mythe. Mais au fil des années, sans doute en raison des pratiques qui avaient émergées autour des tables de jeu, les éditions sont allées vers un côté plus Pulp, bien loin de l’horreur lovecraftienne du cahier des charges de départ. Ainsi à partir de la V6 de l’édition française (parue chez Sans détour), on propose même aux joueurs plusieurs types de jeux, (notez que cela signifie qu’on sous-entend bien une différence): l’horreur lovecraftienne, les enquêtes occultes et les aventures Pulp, le curseur se déplaçant à chaque fois vers une promesse de jeu plus axée sur la résolution du scénario et les moyens d’y parvenir de façon «musclée», tandis qu’inversement on s’éloigne de l’horreur et du drame si prégnant dans l’univers originel. L’éditeur premier, Chaosium, a même sorti le supplément Pulp Chtulhu, pour mener ce genre de parties. Supplément qui louche sur la Weird science et le monde des supers-héros, sans aller jusqu’aux collants moule…
Loin de moi l’idée de faire le râleur, et de jeter au pilori ces itérations, qui présentent d’ailleurs des qualités, je m’étonne cependant que certains considèrent encore jouer à l’Appel de Cthulhu, quand de fait, ils n’y jouent plus. En schématisant et en taquinant un peu, je dirais que si je joue un personnage qui porte un sabre laser, ce n’est pas parce que je joue dans les Terres du milieu que je pourrais prétendre jouer au Seigneur des anneaux. Pas plus d’ailleurs que je ne pourrais me targuer de jouer à Star Wars.
De fait, ces choix, dans des jeux traditionnels, ont immédiatement un impact sur le scénario qui encadre la partie. Ses tropes, ses choix, ses modes d’explorations et de résolutions, ses ambiances, ses thématiques et souvent même jusqu’à son propos sont obligatoirement différents.
Mais revenons à ce qui nous intéresse vraiment, la conception et la rédaction d’un scénario pour l’Appel de Cthulhu. Maintenant que nous avons posé l’impératif primal, nous pouvons commencer à réfléchir pour choisir quel sera l’élément lié au Mythe que nous allons choisir d’évoquer. A ce stade, plusieurs possibilités s’offrent à nous. Je vous propose de considérer deux axes parmi d’autres.
Avec le premier, nous allons commencer par raisonner sur le plot général, soutenu par le scénario. C’est cette intrigue principale qui doit avoir un lien, plus ou moins direct avec le Mythe Lovecraftien. Une fois l’intrigue imaginée, il convient ensuite de réfléchir et de considérer que la couleur des différentes scènes soit en accord avec les canons du jeu. Il existe de multiples façon de focaliser sur ce canon, qui peuvent passer par la mise en scène, les éléments de décor, les dialogues, le drama, les ambiances, les pnj, etc…
Dans la seconde hypothèse, qui ne nous épargnera pas le temps consacré à la mise en scène, on fait exactement l’inverse. Nous commençons cette fois-ci par choisir des éléments en rapport avec le Mythe. On peut ici, pour rajouter une couche de mystère supplémentaire, commencer par des éléments qui n’ont pas de rapport direct, de sorte que la relation avec l’univers apparaisse petit à petit, alors que les personnages progressent dans le scénario. C’est assez pratique, notamment en ce qui concerne le dosage de l’équilibre, rapport au mythe et perte de SAN des personnages. Une fois que l’on a choisi les éléments, on peut alors façonner une intrigue cohérente.
Pour avoir essayé les deux méthodes, je dois dire que la seconde m’apparaît un peu plus efficace. D’abord parce qu’elle facilite la créativité et évite l’angoisse de la feuille blanche et aussi parce qu’elle exige un peu plus de connaissance de l’univers, afin de pouvoir y puiser des éléments. Avec la première méthode, on peut avoir une excellente idée de départ, mais passer à côté de la partie mise en scène, en n’appuyant pas suffisamment sur les éléments directement en rapport avec le mythe, ou en s’engageant dans un développement, qui peu à peu s’éloigne de l’objectif premier.
L’affaire se complique encore un peu plus lorsque l’on sait que la fin doit rester ouverte, influencée principalement par les choix que les joueurs auront fait au cours de la partie. Quand je parlais, un peu plus haut de développement qui s’éloignait de l’objectif premier, c’est en tenant compte du fait que le développement est souvent très lié avec les choix des joueurs. Le parti des investigateurs n’aura pas nécessairement envie de se laisser enfermer dans un drama et désespérant, surtout si vous leur proposez, comme décor principal du scénario, un station balnéaire baignée de soleil.
Pour parer à ce genre d’éventualités, je me constitue une petit réserve d’éléments, que j’utilise pour recentrer la partie et pour affiner la couleur et l’ambiance que je souhaite rehausser à tel ou tel moment du scénario.
Bien sûr le procédé ne garantit en rien la qualité du scénario et encore moins celle de la partie jouée. L’intrigue peut être faible, les éléments un peu trop clichés, les joueurs un peu mous autour de la table ce soir-là. Mais, au moins, vous serez assurés que la proposition de jeu est bien conforme avec le canon prévu pour lui.
Je suis assez d’accord qu’on s’est mangé du scénario AdC un peu à toutes les sauces, et tout à fait d’accord pour revenir aux bases ! Après, sur une campagne au long cours, maintenir une ambiance lovecraftienne en permanence me paraît difficile : les joueurs (et le MJ) ont besoin de « respirer » de temps en temps !
Sinon concernant les deux méthodes de création de scénario que tu décris, cela me fait un peu penser aux deux méthodes que nous avons respectivement utilisées dans le podcast « Le 5ème Élément ». Me trompe-je ? 🙂
Oui c’est assez proche effectivement de nos approches dans le podcast !!