GM DON’T #1 : La Réalité à Géométrie Variable

Je commence ici une série de traductions d’articles de Justin Alexander, les « GM DON’T » : les trucs à éviter à tout prix par le MJ.


Joueur : Merde ! Bon ok, on se casse par l’autre porte !
MJ : Il n’y a pas d’autre porte. La seule issue c’est là d’où tu viens.
Joueur : Mais qu’est-ce qui est arrivé à l’autre porte putain ?!

Il n’y a rien de plus frustrant pour un joueur (ni plus sûre façon de briser son engagement dans le jeu) que de voir la réalité de l’univers changer comme un mirage sous ses yeux métaphoriques.

Dans certains cas bien sûr, cette réalité à géométrie variable est le résultat d’une mauvaise communication : Le MJ a oublié de préciser aux joueurs que l’ogre est en train de leur fracasser le crâne, alors qu’ils essayaient de passer devant lui à son insu. Ou quand le MJ a dit que les portes étaient « au bout du couloir » il voulait en fait dire qu’elles se faisaient face chacune à un bout du couloir, alors que les joueurs supposaient qu’elles étaient côte-à côte à une même extrémité.

Là où ça devient vraiment problématique, c’est quand l’image mentale qu’a le MJ de l’univers est instable en elle-même. Par exemple, je me rapelle ce scénario de science fiction où un compartiment du vaisseau était rempli de vide… ou pas. Ça oscillait au hasard sur plusieurs rounds de combat. (Et si vous pensez que ceci serait traumatisant pour quiconque se trouverait dans le-dit compartiment, vous auriez raison.) Peut-être êtes-vous ce personnage qui avait préparé avec soin son entrée dans le vide, et qui se fait voler la vedette par un autre personnage se précipitant dans le compartiment alors que le vide a disparu. Ou peut-être êtes-vous celui qui se retrouve soudainement exposé au vide bien qu’ayant eu la confirmation que tout était ok, parce que le MJ se rappelle soudainement que le vide est bien sensé être présent. Dans un cas comme dans l’autre, tous les autres aspects du jeu vont vite être occultés par votre compréhensible frustration.

Je pense qu’on peut arguer que le maintien de l’intégrité de l’univers est, en fait, la tâche la plus fondamentale qui incombe au MJ. Tout le reste découle de cette unique vision unificatrice. Et sans cette intégrité, aucun choix significatif (caractéristique définissant le jeu de rôle) n’est possible.

Une des formes les plus communes de réalité à géométrie variable est peut-être celle de type géographique : les distances qui doublent ou qui quadruplent. Des ogres qui peuvent on ne sait comment se trouver juste à côté de deux personnages qui ne sont en aucune façon l’un à côté de l’autre. Des couloirs qui apparaissent et disparaissent de la carte. Mais c’est un problème qui se retrouve dans n’importe quel aspect de l’univers : des PNJs qui changent d’apparence. Des organisations qui virent de l’omniscience panoptique à l’ignorance la plus inepte. Des sorts dont l’efficacité change selon l’humeur du MJ.

En dernier lieu, il est important de remarquer que, en plus de la cohérence descriptive, le MJ doit aussi s’efforcer d’achever la cohérence mécanique. Comme le dit joliment Ben Robbin dans « Même Description, Même Règle » :

L’univers est imaginaire. Il n’existe pas ailleurs que dans l’esprit des participants. Chaque personne a son propre esprit et sa propre imagination, ce qui rend d’autant plus important le fait d’être sûr qu’il y a consensus, que tout le monde opère bien dans le  même monde fictif et est en accord sur la façon dont les choses fonctionnent. La cohérence facilite cela, l’incohérence le rend plus difficile.

Pour utiliser un exemple tiré de M&M, les joueurs font face à une mitrailleuse qui utilise un jet d’attaque normal, et plus tard font face à une autre mitrailleuse qui utilise une attaque de zone (touche automatique, jet de sauvegarde en réflexe pour réduire les dommages). Conceptuellement, les deux mitrailleuses sont identiques – l’une est plus grosse mais sinon c’est la même.

Un joueur voit la deuxième mitrailleuse avant qu’elle ne tire et dit « a ha, je vais esquiver pour augmenter ma défense, ce qui me rendra plus difficile à toucher ! » Logique mais complètement incorrect, puisque ce joueur ignore que la seconde mitrailleuse utilise une mécanique qui n’a rien a voir avec la défense.

(…)

Il y a une façon simple de remédier à ça :

La même description ne devrait jamais être modelée avec deux règles différentes. Si vous voulez utiliser une règle différente, il faut une description différente.

AMÉLIORER SA VISION

Les JDR sont le théâtre de l’esprit. Ce sont des fictions radiophoniques improvisées. Parvenir à être cohérent signifie garder à l’esprit des images complexes de l’univers tout en jonglant simultanément avec tout ce que le MJ doit gérer à la table de jeu.

Ce n’est pas simple.

Le degré de complexité de l’image mentale qui peut être gérée varie beaucoup d’un MJ à l’autre. (C’est aussi une compétence, bien sûr, que vous pourrez généralement améliorer avec le temps.) Donc la chose la plus importante pour un MJ est de connaître ses limites. Et une fois qu’il les connaît, il peut trouver des moyens d’aller au-delà.

Par exemple, je sais que moi, personnellement, je ne peux pas gérer des combats avec des résolutions d’actions simultanées impliquant plus de 8-12 personnages. Au-delà de cette limite, je ne peux pas garder toutes ces actions différentes dans ma tête en même temps et me représenter comment tout cela va se goupiller. Donc quand cette situation a commencé à se présenter souvent dans ma campagne table ouverte OD&D, j’ai réagi en créant une structure mécanique qui découpe le round en plusieurs phases de résolution de telle façon que, à chaque instant, je n’ai à gérer que des groupes de personnages de taille restreinte.

Si vous avez du mal à garder la géographie d’un lieu cohérente, faites un croquis rapide. (Pas besoin de faire un plan hyper-précis : cela doit juste ancrer l’idée que la cuisine est ici et la chambre là-bas.) Griffonnez quelques notes sur vos PNJ pour garder leur apparence et leur caractérisation cohérents. Tenez à jour un journal de campagne afin de garder une continuité entre les sessions.

AMÉLIORER SA CONVERSATION

Quand tout est clair dans votre esprit, vous pouvez travailler à l’amélioration de la communication avec vos joueurs. Commencez par noter mentalement (ou physiquement) les moments où vos joueurs sont confus par vos descriptions. Passez en revue ces moments : Comment auriez vous pu exprimer les choses différemment – ou quels détails auriez-vous pu ajouter – pour rendre les choses plus claires ? Au fil du temps, vous vous rendrez compte que certaines phrases (comme : « au bout du couloir ») sont trop vagues et comment les rendre plus précises.

(Remarquez que précis ne veut pas forcément dire plus long)

Rendre les choses plus claires peut aussi signifier utiliser des références visuelles : Faire des diagrammes, distribuer des références photographiques pour les PNJ principaux, accrocher une carte de la ville au mur, etc.

FAIRE LE TRI À LA TABLE DE JEU

Pendant que vous travaillez tous ces points, gardez à l’esprit que quelque soit le niveau que vous atteignez, les erreurs et les incompréhensions arriveront de toute façon. Donc demandez-vous comment gérer la confusion quand elle survient.

Premièrement, soyez attentifs aux signes manifestant une incompréhension. En général, le signe avant-coureur c’est quand les joueurs proposent des actions qui vous semblent illogiques. J’ai longuement parlé de ça précédemment et proposé un principe général :

Si vous ne comprenez pas ce que les joueurs essayent d’accomplir avec une action donnée, découvrez-le en délibérant sur cette action (NdT: et ses possibles conséquences).

Deuxièmement, donnez le bénéfice du doute à vos joueurs. Votre vision de l’univers n’est pas précise et la situation de l’univers est dynamique (même si vos mécaniques la décomposent séquentiellement en tours).

Par exemple, un ogre est en train de se battre au milieu d’une pièce et un des joueurs annonce qu’il va passer devant l’ogre en courant. Clairement dans la vision qu’ont les joueurs de la situation, il y a assez d’espace pour faire ça en toute sécurité. Peut-être que dans votre vision de la pièce, les choses ne sont pas aussi évidentes. Mais si l’ogre faisait un pas sur la gauche alors qu’il fait tourner sa massue dans les airs, il se pourrait très bien qu’Horatio ait le temps de passer devant lui sans problème. Alors qu’il en soit ainsi.

Troisièmement, trouvez des compromis entre votre point de vue et ce qu’ils cherchent à accomplir.

Il est peut-être vraiment impossible pour Horatio de passer devant l’ogre en courant : la pièce est petite ou peut-être que l’ogre essaye justement d’empêcher les gens de passer devant lui. Au lieu de simplement déclarer que c’est impossible, prenez en considération ce que les joueurs essayent de faire (lui passer devant) et offrez-leur un moyen de le faire qui est cohérent avec votre vision de la pièce : Peut-être qu’ils peuvent faire un jet de Cabriole pour passer. Ou peut-être qu’Athena pourrait attirer l’ogre quelque part afin de libérer le passage.

Ce procédé de compromis n’est pas uniquement un cas particulier du principe de décision « Oui, mais… » du MJ, c’est aussi une façon de corriger en douceur leur image mentale. Ces images mentales, après tout, sont construites par agglutination de détails. En leur offrant des options pour atteindre leurs buts, vous les encouragez à se focaliser sur les détails additionnels que vous apportez (la pièce est plus petite qu’ils ne le pensaient) plutôt que de complètement rejeter la vision qu’ils en avaient auparavant. (C’est une distinction subtile, mais selon mon expérience c’est important.)

Enfin, si tout part vraiment en sucette, n’ayez pas peur d’autoriser quelques petits retours en arrière pour résoudre le désaccord.

J’applique le conseil ci-dessus le plus souvent quand la conséquence de l’incompréhension ne se manifeste pas immédiatement. Par exemple, « Si j’avais su que les ogres étaient assez proches pour arriver ici avant mon prochain tour, je ne me serais jamais arrêté pour ramasser l’idole ! »

Même après un certain laps de temps, il n’est généralement pas trop difficile de rembobiner d’une étape, corriger l’action effectuée par mégarde, et reprendre ensuite. Mais alors que les chaînes de relation de cause à effet deviendront compliquées, vous devrez ajuster les possibles discordances dues au retour en arrière avec les discordances dues à une vision de l’univers erronée. (Gardez aussi à l’esprit qu’il y a une différence entre « le personnage ne savait pas » et « le joueur n’a pas compris » : si le joueur pensait que les ogres étaient à plusieurs centaines de mètres alors qu’en fait ils étaient seulement à quelques mètres, c’est une chose. Mais si Horatio n’avait pas compris que les ogres pouvaient parcourir plusieurs centaines de mètres en un seul round grâce aux totems guépard qu’ils portent, c’est tout à fait autre chose.)

Encore une fois, il peut être utile d’envisager le compromis d’un retour en arrière négocié : Quand Horatio a attrapé l’idole il a reçu une vision fugitive, vous n’allez donc pas autoriser un retour en arrière qui occulte complètement ce moment. Mais peut-être allez-vous permettre à Horatio d’éviter de se faire découper en tranches par les ogres si l’idole lui échappe des mains et qu’il la récupère sur un jet réussi d’Athlétisme.

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Un commentaire à propos de “GM DON’T #1 : La Réalité à Géométrie Variable

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