Magie obscure et incantations – quelle ambiance ?

Article de Steve F. publié sur feu ajdr.org (une mine d’articles, trucs et astuces JDR) qui devrait, je l’espère, avoir été aspirée et sauvegardée sur TOC.


Un ancien article ressorti des placards poulpeux, il traite de l’ambiance qui entoure la magie et les sorts. Écrit à l’origine pour l’Appel de Cthulhu il pourra servir pour d’autres jeux où la magie est traité avec méfiance. (article original écrit pour Tentacules n¬∞2, un feu webzine édité par la Tocteam) – Merci à Troll_ pour ses retours et suggestions.

Notez que l’article a été découpé en deux pages pour plus de lisibilité

Il arrivera peut-être un jour où les personnages de vos joueurs feront appel aux arts obscurs de la sorcellerie pour les aider dans leur périple. Ce jour-là, tremblant comme autant de jeunes vierges, ils avanceront vers l’effroyable inconnu. Mais vous Gardien, serez prêt à leur faire passer le pas, à leur suggérer toute la froide horreur de la magie revue à la sauce Azathoth. Voici pour vous préparer, quelques axes de réflexion sur l’usage de la magie par les personnages.

On a oublié cette vieille bicoque en haut de cette falaise. Curieusement abandonnée de toute forme de vie, seuls les vents les plus froids daignent s’y engouffrer. Un jour, vos personnages viennent s’y aventurer, la survie du monde en dépend. Vous seul savez ce qu’ils trouveront sous cette latte branlante du plancher. Heureusement que les propriétaires légaux du lopin de terre sur lequel elle fut bâtie n’ont jamais trouvé ce visqueux petit coffret caché là…

Les investigateurs ont enfin pu mettre la main sur les précieux feuillets que renfermait jalousement ce réceptacle. Ils sortent précipitamment de l’endroit pour regagner leur chambre d’hôtel. L’étude va commencer. S’il est vrai que ces vieux parchemins pré diluviens cachent le sortilège qu’ils sont venus trouver, il va falloir s’en imprégner rapidement et pour cause : leurs ennemis sont déjà en route…

1 – La découverte du sort – Ils se sont rencontrés un soir…

Vos personnages vont un jour mettre la main sur un ouvrage, une gravure ou un autre document plus exotique qui contiendra une incantation. A ce moment, vous, MJ rusé, allez pouvoir donner le ton dans vos descriptions pour leur suggérer la nature particulière de ces textes. Mon conseil principal à cette étape est de procéder tout en finesse, de ne pas vous précipiter. N’allez pas leur faire comprendre que le document renferme un sort, laissez-leur plutôt découvrir. L’horreur et la tension ne s’inviteront que plus lugubrement à votre table de jeu.

Comment faire ? Voici quelques idées :

Tournez autour du pot

En partant du postulat que le texte découvert est intelligible aux investigateurs, commencez par leur parler des considérations générales du texte, de sa structure tout en distillant soigneusement quelques éléments troublants dans vos descriptions. Ne leur parlez jamais directement d’un « sort » ou d’un « rituel » avant que plusieurs d’entre eux aient déduit ce fait de vos descriptions et l’aient exprimé. Lorsque vous faites référence au sort, ne parlez que du « parchemin », du « document » etc. De cette manière, un doute salutaire pour votre ambiance planera toujours sur la nature du document : « Damned, mais c’est quoi ce texte ?!! ».

Je vous garantis que si vous entretenez ce doute sur l’efficacité du texte jusqu’au moment où le sort devra vraiment servir, dans un moment important de votre scénario, vous atteindrez des sommets d’intensité de jeu.

Par exemple : le scénario dit « Parchemin de sort d’invocation de zombie« .

Vous devez comprendre : pas de précipitation, je vais décrire le parchemin et son contenu de manière progressive à mes joueurs

Ça peut donner un truc du genre :

« Le texte est assez déstructuré, bourré de proverbes Haïtiens, il semble traiter de cuisine locale, mais rapidement, vous repérez ces ignobles louanges faites aux grands découpeurs de corps humains…«

Plus tard :

« Il y a aussi une liste étrange de plantes dont l’emploi semble obscur« .

Ensuite :

« L’auteur encourage ses lecteurs à caqueter une série de syllabes grotesque et incompréhensibles, il en a même dressé une liste ! Il y a aussi une liste de conditions énumérées pour tenir une sorte d’office à la finalité encore obscure« .

Continuez cet intermède avec vos joueurs jusqu’à ce qu’ils saisissent qu’ils ont un véritable rituel sous les yeux, au besoin, terminez par un truc du genre :

« Oui, il semble bien que l’auteur de ce mode d’emploi ignoble soit convaincu que cette mise en scène délirante puisse ramener un corps à la vie !….[Silence]…..«

Faites-vous toujours l’avocat du diable

Ne présentez jamais les choses comme si vous parliez d’un sortilège, faites douter vos joueurs. Prenez garde à ne jamais évoquer la puissance du document. Parlez-en comme d’un inoffensif petit bout de papyrus.

Tournez légèrement l’auteur en dérision dans vos propos : paranoïa, insanité d’esprit, débilité profonde, voire crétinisme congénital seront autant d’expressions à votre service.

N’hésitez pas à commenter son travail comme si vous étiez un scientifique très cartésien et logique : les déblatérations fébriles, travaux totalement déstructurés, déductions aberrantes, expériences grotesques, etc., se succéderont dans vos descriptions.

Si tout se passe comme prévu, vos joueurs seront bientôt convaincus du contraire. Leur lecture pourra continuer.

Attention, passé la phase de description un peu dubitative de votre part, enchaînez sur une deuxième phase où vous aborderez les choses différemment. Utilisez un ton bien plus neutre, parlez à voix un peu plus basse en vous rapprochant de vos joueurs, l’air inquiet comme si vous alliez leur avouer un terrible et pesant secret.

Le moment de cette transition sera déterminé par vos joueurs ; quand les sourires entendus et les clins d’œils complices à votre table auront fait place aux regards concentrés et au silence inquiet, vous saurez que vous pourrez enchaîner.

Les artifices

Sur la forme, je vous encourage à passer une petite musique bien glauque et intimiste au moment où vous prenez la parole pour leur parler du texte (exemple la B.O. du film « The Game », le thème de Mina bien connu de la B.O. de « Dracula » ou la fantastique plage 10 de la B.O. du Parfum ‚ « The method works »), n’hésitez pas à la réemployer à chaque fois que les personnages retourneront religieusement à sa lecture. Vous associerez dans leur esprit un thème musical à chaque sortilège, comme s’ils étaient eux-mêmes des entités dans votre scénario.

2 – Scénario ou campagne ?

Il s’agit d’une petite remarque au sujet de votre mode de jeu et du temps qui vous est imparti.

Si vous jouez en campagne

Vous aurez sûrement beaucoup de temps pour tenir des intermèdes de découverte et d’apprentissage des sorts. En campagne, ne proposez jamais aux joueurs de leur parler des sorts qu’ils ont récupérés, laissez-les vous harceler durant les temps morts du jeu pour que vous reveniez à ces textes, et que vous leur décriviez telle ou telle information. Ce sont eux qui doivent vous indiquer qu’ils souhaitent apprendre telle ou telle incantation, pas à vous de leur proposer. S’ils ne pensent pas à mémoriser le « rituel débubonique de la Grande Race« , laissez-les faire, ils comprendront leur erreur plus tard, quand personne ne sera plus en mesure d’arrêter la prolifération de ces drôles de bulbes sous leur peau.

A l’inverse, lorsque vous ferez jouer des scénarii « one shot »

Vous ne pourrez sûrement pas trop vous étendre sur la description des documents contenant des sorts. Ce n’est pas une raison pour lâcher vos informations trop facilement !

Accélérez un peu les opérations mais en gardant toujours un voile de mystère sur ces documents. Tachez d’attirer rapidement mais subtilement l’attention des joueurs sur ce qui nous intéresse : les sorts, surtout s’ils sont sensés servir à sauver le groupe 2 heures plus tard.

Vos joueurs seront en droit de vous enchaîner pour vous insérer plus commodément un tas de petites épingles rouillées sous les ongles des doigts de pieds si vous ne leur avez pas livré des indices sur la présence probable d’un sort utile et que cela entraîne des conséquences graves (morts de PJ ou pire).

En revanche si vous leur avez laissé comprendre que le contenu d’un parchemin pourrait tenir à distance le « Kratakakatagh’noth éreinteur d’abîmes et grand géniteur de la lave vivante » de fin de scénar mais qu’ils ont négligé cette info, vous pourrez grignoter du pop-corn en observant leurs personnages s’aventurer espièglement, sans gants amiantés dans cette caverne pleine de Vampires de feu – « Die with your boots on PJ ! ».

3 – Litanies et rituels – Ce qu’il nous faut pour cette incantation, ce sont des canons sciés !

Les documents qui contiennent des sorts peuvent renfermer des incantations extrêmement longues, méticuleuses et complexes nécessitant plusieurs jours de préparation. Ils peuvent aussi traiter de courtes imprécations sous forme de brèves litanies impies récitables en quelques secondes. Bien sûr, des longueurs et complexités intermédiaires sont à envisager.

La question de la complexité de mise en œuvre des sorts aura un impact direct sur votre ambiance. Puisque vous aurez souvent le choix de cette complexité, il faudra garder en tête quelques détails.

Vos longs rituels s’épanouiront comme de belles plantes dans vos longs scénarii en s’étalant largement sur plusieurs scènes, vous assurant une longue montée en puissance de l’intensité dramatique jusqu’au paroxysme cosmique final.

Ces rituels donnent d’excellents prétextes pour se lancer dans des courses contre la montre effrénées ; des recherches de derniers composants, des traductions empressées, des scrutations astronomiques nocturnes, des transes interminables perturbées par des PNJs farceurs mais néanmoins armés de mitraillettes Thompson bien huilées.

Du côté des courtes litanies, la profondeur dramatique sera toute autre ; elles vous permettront de renforcer l’ambiance de scènes plus frénétiques, celles où tous vos joueurs à table se tiennent les mains en récitant en boucle les 3 phrases qu’ils ont lues et apprises par cœur dans le vieux grimoire alors que le Grand ancien dévore goulûment leurs congénères.

Les litanies sont effectivement propices à des scènes d’action, de rebondissements et de dynamisme scénaristique.

4 – Composants – « Tiens-lui bien les jambes pendant que je lui scie la gorge ! »

Avez-vous déjà pensé au matériel nécessaire pour réussir un sort ?

Comme le catalogue de la petite ménagère de Yith est épuisé depuis peu chez notre fournisseur, il nous faudra nous creuser les méninges.

Il faut bien sûr un potentiel humain, des gens (qui a dit victimes ?) qui accompliront les actes nécessaires au déchaînement des puissances magiques. Une personne au minimum, des centaines peut être et même plus.

Ensuite, il faudra sûrement compter sur des composants matériels : des plantes, des outils, des minéraux, etc.

Cet article a été pensé pour l’Appel de Cthulhu, pas pour Châteaux & Hydres, alors attendez-vous aussi à fourrer du biologique dans vos gesticulations, et là je ne parle pas d’endives bio élevées en pleine nature, mais bien d’abats, de membres, d’os et de chair, parfois du pack complet.

Vous devinez que vos personnages ne vont pas devoir trouver ces marchandises en recueillant des petits oiseaux morts au bord de l’autoroute ou de pauvres grenouilles préalablement et humainement endormies à l’éther. Dur dur d’interpréter un investigateur !

Certains sorts exigeront un « investissement » tout personnel de la part de son/ses lanceur(s) : du sang, un organe, un sacrifice de points d’attributs/magie/vie.

Les effets de ces sorts méritent-ils réellement les exactions les plus illégales et inhumaines ? Laissez les joueurs se poser la question et trouver la réponse pour leur investigateur. Certains composants seront faciles à se procurer : du gros sel, une craie, etc. D’autres seront difficiles à acquérir parce que rares (Fleurs tropicales réveille morts), coûteux (diamant) ou illicites (macchabées, matériaux radioactifs).

Certains composants seront même rarissimes : morceaux de créatures du Mythe, matériaux extra-terrestres, etc.

L’exigence de composants vous permet de réguler le recours que les personnages feront aux sorts, il peut être judicieux d’exiger un composant difficile à se procurer pour une incantation si vous voulez éviter les dérives bien connues et parfois recherchées dans d’autres jeux de rôles : joueur fireballer tout puissant, personnage nécromant précédé de son armée de zombies mangeurs de tank, etc.

Sans nous éterniser sur le sujet, restez sensible aux exigences de contexte que peut poser un sort : un moment précis (conjonction d’astres, jour, nuit, pluie, etc.) un lieu précis (R’lyeh, une faille abyssale, un volcan, etc.).

Sachez que ces exigences vous permettront aussi de limiter les dérives imaginables par vos joueurs trop astucieux ‚ Jeff, si tu nous lis -.

5 – La santé mentale ‚ Interdiction de baver, couiner et de parler avec son ami imaginaire dans la bibliothèque.

La pratique de la magie tout comme la découverte du Mythe grignotera la santé mentale de vos investigateurs avec autant d’application qu’un gros rat dans une boîte à gâteaux.

La participation des PJ à ce genre de manifestations surréelles, tellement éloignées des convictions bien cartésiennes des sociétés du XIXe – XXIe siècle, va profondément les affecter.

Je n’aborde même pas la probabilité de failles psychiques dans leur esprit qui attireront bien des entités comme autant de moucherons autour d’une lampe la nuit.

La folie causée par les sorts peut être un élément très intéressant à insérer dans vos parties. Encore une fois, ce n’est pas la seule perte de points de SAN qui plongera vos joueurs dans la crainte, mais d’avantage les manifestations de cette folie dans vos descriptions et votre jeu de Gardien de l’AdC.

Quelques idées en vrac :

  • au cours de leurs études des sorts, vous pourrez décrire aux joueurs les manifestations physiques de leur mal-être : les tremblements incontrôlables de leurs personnages, leurs sueurs froides, claquements de dents, baisse et hausse de température corporelle, pertes de connaissances, etc.
  • Ils pourront être victimes d’hallucinations qui affecterons leurs sens : goût amer ou métallique en bouche, bruits sourds derrière la cloison du mur de leur chambre, odeur de pourriture, picotements des doigts, ombres furtives passant dans leur dos.
  • Ils pourront même en arriver à développer des folies plus élaborées : certitude que des mots ont quitté le document pour se loger dans leurs oreilles, sentiment amoureux, voir sensuel envers le sort et son support, dialogue avec le support, certitude qu’un concept/couleur/genre/objet a disparu du monde, et agissement en tant que tel.

Vous pourrez introduire ces éléments de deux manières :

  • Soit en les exposant au joueur qui en est victime en présence des autres joueurs. Cette méthode renforce la cohésion du groupe et participe à l’installation d’une atmosphère pour tous les joueurs.
  • Soit en exposant ces choses au joueur qui s’occupe de lire le sort. En tête à tête, en lui parlant à part ou lui faisant parvenir de petites notes « secrètes » à votre table de jeu. L’intimité entre vous et votre joueur lors de l’exposé de ce « qui cloche » accentuera sa perte de repères par rapport à ce qui arrive à son personnage. Pas d’ami pour ricaner bêtement, le rassurer en lui tendant le paquet de chips ou lui expliquer avec désinvolture que « ça arrive à chaque fois, c’est juste les conséquences de la perte de SAN sur ta fiche de perso. »

Nous aborderons dans un prochain article de la rubrique « interprétation », des « trucs » pour interpréter des personnages atteints de folie – côté joueur ou MJ. Aussi je referme pour le moment mon grimoire sur la folie dans un grand claquement poussiéreux.

6 – L’après incantation Oups ! Tout ne se passe pas comme prévu !

Si certains sorts ne réserveront pas réellement de surprise à vos investigateurs en terme d’effets, on peut imaginer d’autres situations plus embarrassantes. Voici deux idées que vous pourrez développer :

Pas le bon résultat

Le sort décrit des effets peu ou totalement différents de ce qui s’est passé en réalité. Ex : Le sort est sensé protéger, mais il corrompt totalement un endroit, une conjuration qui se solde en invocation, une guérison qui finit en maladie gravissime, etc.

Tout est envisageable, mais ne soyez pas trop rude avec vos joueurs, laissez toujours à leurs personnages une chance de découvrir le pot aux roses avant l’incantation.

Pouf pastèque ! Rien du tout (?)

Le sort n’en était pas un ou un élément d’invocation a été négligé, etc. En tout cas rien ne se produit et gageons que les personnages vont se trouver bien embarrassés en brandissant leur symbole de protection en pâte à sel devant ce Dhole affamé. Une variante intéressante de cette idée est de donner des effets à retard, quelques instants, minutes/heures/jours après invocation.

7 – Mettre en scène

Tout à l’heure, nous avons un peu développé la mise en scène au moment où les investigateurs découvrent un sort. Mais que se passe-t-il quand on est « au feu« , là, dans la cave de l’oncle Profond’like au moment où on termine d’accomplir son sortilège et qu’on patauge dans les intestins de Timmy, le nouvel ex-PJ de bob ?

Comment décrire les sorts à vos joueurs ?

Je pense qu’on peut diviser l’accomplissement du sort en 3 phases : actes préparatoires, fin du sort, après-coup.

Les actes préparatoires

Ils seront généralement dénués « d’effets spéciaux », aussi vos descriptions seront très sobres. C’est une méthode efficace pour laisser tergiverser vos joueurs sur l’efficacité de ce qu’ils font jusqu’à la dernière seconde. L’effet peut être maximisé si vous les regardez calmement, voire bovinement en répétant les actions qu’ils vont vous décrire à la manière d’un psychanalyste de film américain :

 » – On déchire le parchemin au dessus de la flamme !

– Ok, vous le déchirez… Passe-moi le cola, s’il te plaît.

– Et là, on récite l’incantation 5 fois !

– D’accord, vous baragouinez votre truc.

– Et on jette le contenu de la jarre solennellement sur le feu.

– Pfffffcchhhh ! Ca fait de la fumée et ça ne sent pas la rose… « 

Côté hors-jeu, je vous conseille de garder une lumière neutre dans votre local de jeu, de ne pas passer de musique spécifique qui trahirait peut-être la suite logique des événements. Si ça ne risque pas de mettre la puce à l’oreille de vos joueurs, jouez cette phase en vous passant de musique.

Outre l’éclairage, vous pourrez aussi réaliser vos propres parchemins-accessoires de sort, au besoin en lisant mon article best-seller dans votre fauteuil en cuir, un ballon de Cognac à la main (profitez-en, la deuxième lecture est gratuite jusqu’au 28 de ce mois). Les parchemins pourront servir de support de lecture classieux pour vos joueurs (si vous avez pris soin d’écrire des choses dessus avec de l’encre réactif à la lumière noire, vous pourrez obtenir un effet sympa dans la prochaine phase, lorsque vous allumerez vos lumières…).

A l’opposé, si vous sentez que vos joueurs restent sceptiques quant à l’efficacité du sort qu’ils vont lancer et qu’ils risquent même de s’interrompre par perte de motivation, vous pourrez les encourager à continuer par la seule description d’un élément nouveau au moment où ils commencent l’incantation (vrombissement de l’air, pulsations, petits arcs électriques, assombrissement du ciel, chute de température, vague brouillard, etc.). Vous pourrez agir de manière plus subtile en diffusant, au moment où ils vont commencer leur incantation, une petite musique appropriée, mais pas trop grandiloquente (on garde ça pour l’étape 2).

La fin du sort

C’est le moment le plus intense de la manœuvre, vous pourrez mettre le paquet dans vos descriptions en terme de mise en scène, surtout si le sort est puissant. N’oubliez pas que c’est peut-être l’aboutissement de plusieurs séances de jeu de recherche et préparation, vos joueurs en veulent pour leur argent/chips/pizzas !

Mon principal conseil avant de rentrer dans le détail est de PRÉPARER un minimum ce moment, l’improvisation peut se montrer bien plus compliquée que prévue, vous pouvez encore vous prendre les pieds dans le tapis. Aussi répétez avant votre séance de jeu vos descriptions, quelques mots choisis que vous allez employer, la trame événementielle de ce qui va se passer, la/les musiques que vous allez diffuser et peut- être les autres effets que vous avez dans votre manche.

L’accomplissement du sort est arrivé ; les effets doivent maintenant se déchaîner. Vous n’êtes pas obligé de décrire une débauche d’effets pyrotechniques ahurissants à la sauce Monty-Python (rencontre avec Merlin), d’ailleurs, je vous le déconseille.

L’objectif réel consiste juste à marquer fortement le contraste avec la situation précédente tout en mettant en scène le surnaturel. Vous pouvez décrire tout un panel d’événements visuels, sonores et sensitifs : fumée se mouvant anormalement, petits éclairs de couleur étrange, voix d’outre tombe, ténèbres engloutissant tout, coloration de l’air, odeur suspecte, flashs, sol qui se soulève, vent, pluie, déchirement du ciel et de la terre, particules enflammées, etc.

Ne négligez surtout pas l’impact de l’inconnu sur vos joueurs : décrivez des phénomènes intraduisibles pour l’esprit, faites tourner leurs méninges sans les laisser comprendre. Jouez sur les lois de la physique, évoquez des inversions partielles de la gravité, faites apparaître temporairement une nouvelle dimension dans la zone qui bouleverse tous les angles des choses. C’est le moment de leur parler de bulles métalliques iridescentes qui tournent et pulsent au rythme de leurs battements de cœur, de sons atomiques qui les écrasent sous des affres de douleur, de spasmes dans l’air qui génèrent des couleurs inconnues, de nuage stellaire à la profondeur infinie etc.

Croisez les sens, inventez des concepts incompréhensibles mais suggestifs, faites confiance à l’imagination de vos joueurs. Évitez simplement l’écueil du ridicule (des broubrous qui glougloutent, des spirales qui chiffonnent la rétine, etc.).

Côté mise en scène hors-jeu, c’est le moment de diffuser vos morceaux de musique les plus dramatiques, inquiétants et suggestifs. Si vous affectionnez ce genre de moyens, faites varier votre ambiance lumineuse à table : éteignez vos lampes si vous jouez de nuit, ou au contraire allumez tout. Branchez vos spots de couleur jusque-là camouflés, branchez votre néon de lumière noire, etc.

Certains habitués de mon site web m’ont raconté comment ils se servaient d’un simple ventilateur caché sous la table en été et allumé à pleine puissance au moment propice, pour accentuer le malaise.

Vu qu’il m’arrive d’avoir une vie social après le jdr, je ne raconterai pas ici comment je me sers parfois de ma machine à fumée, mais je vous laisse imaginer l’étendue de vos possibilités.

Comme d’habitude, apprenez à connaître vos joueurs et demandez-vous quelle est la limite au delà de laquelle ils vont « décrocher » de votre ambiance pour commencer à la trouver ridicule, n’allez jamais jusque-là lorsque vous voulez utiliser des effets spéciaux hors-jeu.

L’après sort

A ce moment, les choses se calment généralement, aussi revenez à une ambiance hors-jeu et en-jeu plus sobre et neutre.

Une possibilité si les choses tournent mal pour les investigateurs est de procéder à un « fondu » jusqu’à la scène suivante de votre scénario.

Ex : « les éléments finissent de se déchaîner autour de vous, tout devient sombre et silencieux… Vous vous réveillez dans un sous-bois humide…«

Vous pouvez même accompagner ce « fondu » scénaristique en éteignant toutes les sources de lumière de votre local de jeu pendant quelques secondes avant de tout rallumer le sourire aux lèvres en décrivant la scène suivante.

8 – Comment apprendre et mémoriser les formules ? Klaatu Verata….Hurmffffhurrrmff !

Un peu de technique

Pour la mémorisation d’une formule courte (1-5 lignes), j’ai mis un petit système au point : Je fais moi-même un jet sous 5 fois l’INTelligence de chaque personnage qui lit la formule en me précisant qu’il tente de la retenir (sous 3 fois l’intelligence si le personnage ne tente pas de se souvenir).

Chaque tranche de 5 points de réussite (10 si vous êtes sadique) indique que le personnage se souviendra parfaitement de la formule pendant une unité de temps du scénario (heures si le scénario prend quelques heures de temps de scénario, jours s’il dure des jours, etc.).

Je note le résultat sans en avertir le joueur et au moment où il souhaite s’en souvenir, je consulte mes résultats. Si ma fiche m’indique un échec ou qu’il s’est passé trop de temps depuis la dernière lecture, il ne se souviendra pas de la formule.

Ex : Dans un scénario censé durer quelques heures en jeu ; un joueur a 10 en INT, il lit le grand papyrus de Kargueule-de-loup qui renferme le grand sort d’invocation de petits chatons hémophiles. Son personnage le lit distraitement sans m’indiquer qu’il tente de retenir quelque chose, je fais secrètement un jet sous 3 fois son INT : 30, j’obtiens 21 ; soit une marge de 9, (1 x 5). Je peux me noter sur un coin de page que ce personnage aura des souvenirs des formules simples pendant une heure de temps en jeu.

Pour ce qui est de la mémorisation des sorts plus longs, je vous renvoie au livre de base de l’AdC.

Côté ambiance

Deux situations sont à envisager : soit vous jouez un scénario en une séance de jeu soit vous jouez une aventure ou campagne en plusieurs scénarii et vous pouvez vous permettre « d’étaler » l’apprentissage sur plusieurs séances.

Dans le cas où vous manquez de temps, limitez vos interactions à une simple description de la découverte faite par les personnages, et du temps qu’ils ont passé à l’étudier. Dans cette hypothèse, vous pouvez par exemple procéder de manière « cinématographique » en décrivant les longues scènes de lecture et d’étude du point de vue d’une caméra épiant les personnages entre les rayonnages de la bibliothèque/les planches disjointes de la cabane où ils se sont réfugiés, etc.

Si vous avez plus de temps, vous pourrez multiplier les séances de découverte. Avec la coopération et les idées des joueurs, organisez des parenthèses dans vos scénarios où vous pourrez leur présenter l’avancement de leurs recherches et de leur mémorisation. Dans ces moments, passez-leur de petites musiques choisies (écoutez du côté de la B.O. du film « La 9ème porte » par exemple).

A titre d’inspiration, vous pourrez commencer par leur faire jouer/décrire leurs premières séances de découverte du document sous forme de longues lectures et son cortège de regards pesants échangés entre personnages.

Dans un autre scénario, vous pourrez passer aux débats houleux qui naissent entre les personnages au sujet du sort découvert : faut-il s’en servir ? N’est-ce pas trop risqué ? Deviennent-ils fous ?

Vous pouvez aussi aborder les épisodes de collecte des différents composants, leurs premières répétitions de l’incantation, leurs cauchemars, etc.

9 – Quelles conséquences à l’apprentissage des sorts ?  » John, je suis trop vieux pour ces conneries, sort de ce placard ! «

Ca y est, ils l’ont fait, ils ont déchaîné la puissance obscure des arcanes ? Et après ? Les joueurs reprennent leurs discussions mondaines en dégustant des sablés accompagnés de thé noir ? Un peu trop simple, vous ne trouvez pas ?

Même si les joueurs se sentiront déjà pas mal pénalisés par la perte de santé mentale que prévoient les règles, ils devraient toujours ressentir que leurs personnages se sont livrés à quelque chose de discutable. Quelque chose qui est littéralement contre nature.

Les implications de leur acte vont peut-être bien plus loin que ce qu’ils imaginent. Ils n’ont peut-être pas ébranlé les fondements du grand ordre cosmique, mais ils ont peut-être ouvert un passage, rompu un sceau, déstabilisé ou dérangé une entité, etc ?

En bon gardien de l’AdC, vous pourrez facilement récupérer cette idée lors de vos campagnes en relançant ponctuellement les inquiétudes de vos joueurs sur les conséquences à long terme de leur invocation.

Jouez par exemple sur le thème du surnaturel : à intervalles réguliers, vos joueurs sont confrontés à des choses inexplicables en rapport avec l’incantation. Leurs personnages entendent des voix, la disposition du mobilier de leur domicile varie légèrement sans explication, ils font des cauchemars récurrents en rapport direct avec le sort, etc.

Ils peuvent aussi ressentir un malaise physique : saignements de nez, démangeaisons inquiétantes, maux de tête, malaises, etc. Il ne s’agit pas de harceler en permanence vos personnages qui auront déjà fort à faire avec les nœuds de vos scénarii, mais simplement de leur rappeler ponctuellement qu’on ne flirte pas avec les forces occultes sans se brûler les ailes.

Le mot de la fin :

L’incantation de sortilèges par vos investigateurs est l’occasion de passer un tas de bons moments d’ambiance avec vos joueurs. En définitive, tout l’art du bon gardien de l’Appel de Cthulhu sera encore une fois de suggérer l’horreur en faisant appel à l’imagination des joueurs.

Sobriété et doigté seront ici encore les maîtres mots de votre tâche.

Gardez simplement à l’esprit que la mise en œuvre des forces occultes risque de déchaîner des forces cosmiques incommensurables. Aussi traitez ces situations en jeu avec le sérieux nécessaire. Invoquer une entité extraterrestre n’est pas aussi évident et inoffensif que de se servir d’un grille pain. Veillez par votre jeu de gardien à ce que vos joueurs comme leurs personnages gardent toujours cela à l’esprit.

Bon jeu !


(3 commentaires)

    • Yakuru on 17 avril 2018 at 14 h 05 min

Décidément je continue de découvrir des articles bien cachés sur ton blog !
Très intéressant guide pour venir mettre en scène ces (potentiellement) grands moments anthologie qui peuvent conclure une partie de l’AdC.

Globalement en accord avec ce que tu écris, pour moi le principal étant que la rareté fait la valeur. De toute façon c’est un peu l’esprit AdC à la base, dans le sens où la magie va rester extrêmement rare, ce qui la rend normalement d’autant plus mystérieuse.

En pratique c’est facile de se laisser déborder et de conclure chaque scénar one-shot par une incantation mystique. A mon humble avis, l’idée d’un cérémonial bien codifié marche bien une fois mais risque de lasser les joueurs. Au bout de quelques scénars, ça sent quand même l’épisode de Charmed réchauffé ! Le rituel cliché dans la cave de mémé en sacrifiant des poulets au milieu d’un pentacle fait en bougies parfumées à la vanille, c’est un peu daté.

Après j’ai des gouts de mise en scène plutôt sobres, je dis pas que je serais insensible à un sortilège magnifiquement amené à grands renforts de machine à fumée et spots lumineux, mais que c’est pas ma tasse de thé ?

Par contre l’idée que tu proposes de présenter le parchemin / objet magique comme d’apparence totalement banale, ça me parle beaucoup plus. Tout comme l’idée d’un effet « psssschiuuut » style « rien ne se passe et vous êtes des blaireaux » avec un magnifique effet à retardement subtil mais très dérangeant (modification de la réalité ?) et semant le doute dans les esprits – ça s’est vraiment passé ou bien juste je deviens fou ? Tout semble identique et pourtant tout a changé…

L’enjeu de l’utilisation du sortilège me parait également extrêmement important à développer car plus l’enjeu semble de taille, plus les personnages seront amenés à effectuer des actions folles pour déclencher ledit sortilège (meurtres d’innocents, torture, tueries de masse, attentats, etc)… dans l’incompréhension totale de leurs contemporains, qui n’y verront probablement qu’une bande de psychopathes à enfermer…

En tout cas encore un grand bravo pour tes rubriques pratiques concernant la mise en scène, ce blog restera à jamais une référence en la matière ! ?

J’avais écrit il y a quelques temps un post sur la gestion de la folie en JDR, et il me semble très bien compléter le tien dans la gestion de la « santé mentale » avant / pendant / après le sortilège, je me permets de poster le lien ici : http://gardiendesarcanes.blogspot.fr/2011/05/lutilisation-de-la-folie-et-des.html

    • Steve F. on 17 avril 2018 at 14 h 20 min

Merci, je suis entièrement d’accord. N’hésite pas à poster d’autres références si tu le souhaites. C’est exactement comme cela que j’appréhende les commentaires dans ce site.
Au fait, si jamais un jour ton blog ferme ses portes pour une raison ou une autre, n’hésite pas à me transmettre tes articles pour que je les accueille ici, ça nous permettra de centraliser ces conseils et de les archiver.