Du roleplay qui fait transpirer

Je partage ici une petite théorie sur l’utilisation du roleplay comme outil pour renforcer l’immersion. En effet, quand les joueurs font du roleplay, ils ne jettent pas les dés, ne regardent pas leur feuille de personnage, et parlent à la première personne. C’est donc un moment où il y a en quelque sorte synchronisation parfaite entre le joueur et son personnage.

Je ne parle pas ici du roleplay un peu guimauve qui consiste à draguer la serveuse du bar, ou demander à la bibliothécaire d’aller vous chercher le Culte des goules. Je parle du roleplay que l’on pourra greffer sur des scènes à forte tension dramatique. Un bon roleplay permettra, je pense, d’optimiser l’immersion des joueurs dans la scène. En tant que MJ, il nous faut donc provoquer et exploiter ces situations dans nos scénarios. Prenons par exemple cette scène dans Il était une fois dans l’Ouest :

Bien sûr, rien qu’à voir la gueule des types, on sait d’avance que la scène va mal finir. Mais le court dialogue qui précède permet de rendre palpable la montée en tension. Lorsque la dernière réplique est prononcée, la tension atteint sont maximum, et on sait que le fight est imminent. Alors que si Bronson avait commencé à les dézinguer directement, la scène n’aurait pas eu la même intensité.

Je pense que ce type de roleplay permettra d’enrichir pas mal de séquences de jeu, notamment :

  • Les scènes d’action
  • Dilemmes, chantage, et bluff
  • Dialogue avec les autorités

Examinons tout ça à travers quelques exemples…

La prise d’otage et l’impasse mexicaine

Un grand classique, très efficace. La prise d’otage entraîne pratiquement à chaque fois une séquence de négociation / bluff. Ce sont donc des scènes extrêmement riches en termes de roleplay et de suspense. Laissez monter la tension avant de vous ruer sur les dés ! Comment gérer ça en termes de règles ? Je n’y ai pas réfléchi, il y a cet article qui traite du « conflit comme combat » dont on peut s’inspirer, mais je pense personnellement que j’opterai pour quelque chose de plus simple, de façon à privilégier le côté psychologique et le roleplay lui-même.

Une variante de la prise d’otage est l’impasse mexicaine (mexican standoff), qui donne lieu au même type de dilemme. Il y a plusieurs configurations possibles, selon qui tient qui en joue. Côté MJ, il faudra bien avoir les motivations des PNJ en tête afin d’imaginer leurs réactions de façon plausible. À préparer un minimum donc…

On pourra aussi avoir du bon roleplay sans forcément sortir les guns. Imaginez un preneur d’otage retranché dans un immeuble, et une scène de négociation par téléphone ou avec un mégaphone. Les PJ arrivent sur place, et le flic local, désemparé, leur tend le téléphone : c’est parti pour un petit roleplay sous haute tension ! 🙂 En cas de manque de psychologie, le forcené abattra un otage, et le PJ y laissera de la SAN… 😈

Le bluff

Le bluff est une ruse qui peut se révéler parfois plus efficace que la force brute. En insinuant le doute dans l’esprit de l’adversaire, le bluffeur pourra se sortir d’une situation difficile. Ainsi, le PJ désarmé ou en mauvaise posture pourra-il sauver sa peau :

Allez-y tuez-moi !!… Et vous ne saurez jamais où est le parchemin sacré ! Maintenant que le Pr. Tuttle est mort, je suis la seule personne vivante à savoir où il se trouve…

Mais le MJ sadique pourra aussi bluffer les PJ à travers ses vilains PNJ pour les rouler dans la farine, comme dans la fameuse scène de la pilule rouge dans Total Recall :

Manque de pot pour le psy, Schwarzy a réussi sont jet de Psychologie, et il a bien compris que la grosse goutte de sueur coulant le long de sa tempe signifiait : « Je suis en train de te mentir, et je sens que tu commences à t’en douter », et on connaît la suite…

Bon d’accord, il aurait pu lui coller une balle tout de suite, mais encore une fois, c’est cette bataille des nerfs, pour le personnage comme pour le spectateur, qui rend la scène inoubliable.

L’interrogatoire

L’interrogatoire est un peu dans le même ordre d’idée : c’est un combat psychologique. J’avais tendance à bâcler ces scènes, mais je réalise maintenant que c’est une erreur car il y a beaucoup à en tirer, que les PJ soient interrogateurs ou interrogés. Prenons le premier cas. Je ne sais pas pour vous, mais mes joueurs sont soudains tout excités à l’idée de torturer leur victime pour lui arracher la vérité. Ça leur donne un sentiment de toute puissance, parce qu’ils ont l’avantage physique. Un peu comme Batman dans l’extrait suivant :

Avantage physique, oui, mais… vous avez remarqué ? C’est le Joker qui a l’avantage psychologique. 1) Il met Batman hors de ses gonds en jouant avec ses émotions, 2) le fait culpabiliser en lui rappelant ses fautes, 3) le fait douter intellectuellement sur la nature chaotique du monde, et 4) il le met face à un dilemme (en plus je crois qu’il lui ment sur une adresse). Comme quoi la force ne fait pas tout. Encore une possibilité de bon roleplay à bien préparer et exploiter, qui revient assez régulièrement dans les scénarios d’enquête. L’interrogatoire est aussi un moyen pour le MJ, au cas ou les joueurs étaient un peu dans le flou 😉 , de clarifier certains enjeux du scénario.

Dans le même genre d’idée, on pourrait aussi rendre les situations où les PJ sont capturés/interrogés plus intéressantes : au lieu d’un unique méchant qui les interroge et les torture, on pourrait faire intervenir plusieurs PNJ, représentant plusieurs factions avec des intérêts divergents. Dans ce cas, les PJ pourront, s’ils sont malins, exploiter les divergences de leurs ravisseurs à coup de bluff et de mensonges, de façon à provoquer le chaos et en profiter pour s’échapper !

Le dilemme

Là encore, un bon moyen de coincer vos joueurs en les forçant à prendre une décision qui sera toujours mauvaise. Rien de nouveau, c’est du classique, mais je reviens sur le propos de cet article : avant de vous jeter sur les dés, pensez au roleplay. Si le grand méchant est présent, c’est encore mieux, car il prendra plaisir à leur mettre le doute, les fera pencher d’un côté ou de l’autre par ses insinuations perverses. Un must dans le genre est je pense la scène de la boîte dans Seven, que je ne commenterai pas pour ne pas spoiler :

Diaboliquement génial ! 🙂

J’aimerais maintenant aborder des exemples de roleplay pour des scènes moins violentes, qui permettra d’impliquer d’avantage les joueurs dans leur rôle, en ce sens qu’ils devront être extrêmement attentifs à ce qu’ils diront, sans quoi ils pourraient se retrouver en mauvaise posture.

Les journalistes

Ce type de scène, en plus de flatter l’égo des PJ, pourra remplir d’autres fonctions. Si l’on veut par exemple faire commettre une erreur aux PJ (lâcher une information qui aurait dû rester cachée), il est important que les journalistes leur « tombent » dessus un peu par surprise, et les matraquent de questions sans leur laisser le temps de réfléchir (pas de HRP !). Bien sûr les PJ pourront tout à fait refuser de répondre aux questions. On pourra alors ruser : Il se pourrait que les journalistes interrogent d’abord l’inspecteur de police qui les accompagne, qui répondra à quelques questions, avant de se tourner soudainement vers les PJ. Certains journalistes peuvent prêcher le faux pour obtenir le vrai :

Est-il vrai Mr. [le PJ] que vous n’avez pas d’alibi pour la soirée où ce triple meurtre a été commis ?

Le PJ devra bien répondre quelque chose pour ne pas être mis sur la liste des suspects. En enchaînant question sur question, vous arriverez sûrement à leur faire dire des choses que vous pourrez utiliser contre eux plus tard 😈 . Le simple fait d’être pris en photo avec telle personne ou de voir leurs noms cités, permettra à un éventuel antagoniste de trouver leur adresse, etc. À l’inverse, les journalistes pourront mettre les joueurs sur une piste qui leur avait échappé :

Depuis quand étiez-vous au courant de la liaison entre Mr. Lawrence et la victime ?

Tiens, c’est qui Mr. Lawrence ? Je conseille de préparer les questions à l’avance afin de vraiment restituer l’effet de « matraquage ». On pourra aussi poser des questions « normales », et d’un seul coup, un journaliste fouille-merde assénera une question piège (c’est facile pour le MJ qui est omniscient, mais il faudra que ça soit plausible quand même) :

Mr. [le PJ], des témoins affirment vous avoir aperçu sur les lieux moins d’une heure après les faits, êtes-vous impliqué dans cette affaire ?

On pourrait aussi, alors qu’ils s’embrouillent dans leurs réponses, soudainement signaler aux PJ qu’ils aperçoivent la personne qu’ils recherchent se frayant un chemin dans la foule, et montant dans un taxi. La foule compacte des journalistes les empêchera de lui mettre la main dessus… à moins qu’ils ne tirent un coup de feu en l’air pour disperser tout le monde ?

Les journalistes pourront jouer un rôle important dans les scénario d’enquête, notamment les scénarios intégrant une composante judiciaire (par exemple le scénario Avec préméditation, dans Aventures dans la Région d’Arkham) ou politique (les premiers scénarios des Montagnes hallucinées).

Rire jaune avec la mafia

Se frotter à la mafia est toujours risqué. Malgré l’ambiance familiale et le côté sympathique de certains, l’honneur du mafieux doit être respecté. Prononcer le mauvais mot au mauvais moment pourra avoir des conséquences fâcheuses pour les PJ. Cette ambivalence chez le mafieux, qui le fait passer du gentil pote au fou furieux, pourra donner lieu à de grosses sueurs froides chez le PJ imprudent. Vous savez, quand tout le monde s’arrête soudainement de parler et que le malaise s’installe… Inspiration :

Imposture

Une autre façon d’utiliser le roleplay pour bien impliquer les PJ dans la scène, c’est de créer une situation où le(s) PJ doit se faire passer pour quelqu’un d’autre, et qu’il doit à tout prix tenir son rôle si il ne veut pas être démasqué et se retrouver en difficulté. Quelques exemples :

  • L’imposture téléphonique : les PJ appellent en se faisant passer pour quelqu’un d’autre, ou bien : alors qu’ils « visitent » un appartement, le téléphone sonne et l’un d’eux répond en se faisant passer pour le propriétaire. Dans les deux cas, le PJ devra maintenir l’illusion le plus longtemps possible pour essayer de soutirer un maximum d’information à l’interlocuteur. À un moment donné, ce PNJ posera la question à laquelle ils ne pourront pas répondre, fera la blague qu’ils ne comprendront pas, ou pire, il reconnaîtra sa voix ! Dans ce cas, il pourrait même essayer de le maintenir le plus longtemps possible au téléphone pendant que ses sbires viennent les surprendre 🙂 .
  • Infiltration d’une société secrète : (et toute situation où les PJ se travestissent) Bien cachés derrières leurs masques, et se fondant dans la masse, les PJ se sentent rassurés. En improvisant et en restant vagues, en se prétendant « nouveaux », ils vont réussir à tromper leur monde pendant un certain temps. Laissez-les penser qu’ils contrôlent la situation… puis refermez le piège petit à petit. Les issues sont condamnées, une cérémonie commence. À l’occasion d’une bourde, d’un comportement suspect, où d’un truc auquel ils n’avaient pas pensé (ex : tous les sectateurs portent la même bague, ou ils ont une façon particulière de se présenter), ils seront sommés de se justifier : voilà qui devrait leur donner quelques petites suées sous leur masque !

Eyes wide shut :

Voila les quelques exemples que je voulais partager, en espérant qu’ils vous inspireront 🙂 . Certains, comme les journalistes, ne s’appliquent peut-être pas à beaucoup de scénarios, mais la prise d’otage peut être tentée dans pas mal de combats il me semble. Je vous invite à partager les vôtres en commentaire, et je les inclurai dans l’article afin que tout le monde en profite !


Niveau règles, faut-il mettre en place des règles spéciales pour gérer une prise d’otage, une impasse mexicaine, ou un interrogatoire ? À chacun de voir. Comme je le disais plus haut, ceux qui aiment bien ludiser pourront s’inspirer de l’article gérer le conflit (portes-imaginaire.org), dans lequel il est proposé de gérer les conflits un peu comme des combats.

Personnellement, je mettrais plutôt le roleplay en avant, avec quelques jets de Psychologie, Imposture, Baratin, Persuasion, APP, POU, et des bonus/malus selon le roleplay et la pertinence des arguments avancés.

6 commentaires à propos de “Du roleplay qui fait transpirer

  1. Merci pour la citation de mon article sur la gestion des conflits, par contre, une petite remarque, au delà de juste « ludiser », créer un cadre de règles pour gérer un conflit autre qu’un combat et ne pas seulement s’en remettre au roleplay pour permettre de montrer une même importance entre un conflit social et un combat.

  2. Oui, désolé si j’ai un peu simplifié. Les lecteurs pourront aller lire ton article et apprécier la nuance 🙂 .

    Mais c’est vrai que la question mérite d’être posée : je pense en particulier au cas d’une négociation avec un preneur d’otage, qui peut en réalité durer des heures, voire des jours. Peut-on vraiment se satisfaire d’un jet de persuasion ? Sûrement que non… Mais a-t-on pour autant besoin d’un système ou est-ce que le roleplay suffit, c’est une question de goût il me semble. Sauf si le PJ-négociateur a vraiment une spécialité « Négociation-preneur-d’otage », auquel cas ça devrait effectivement lui donner un avantage.

  3. En tout cas, l’article est très intéressant et m’a donné quelques idées pour débloquer l’écriture de mon scénar à JB007 de la semaine prochaine 🙂

    Juste une erreur que j’ai repéré : « Un must dans le genre est je pense la scène de la boîte dans Le silence des agneaux, que je ne commenterai pas pour ne pas spoiler », c’est pas le silence des agneaux, mais Seven…

  4. Très bon sujet. Dans un tout autre système PAIZO a sorti le ultimate intrigue pour pathfinder qui se propose de gérer tous ces genres de conflits avec un cadre de règles précis qui permet à un joueur de justement développer son PJ dans ce sens car le principal souci de ne gérer que par le role play c’est que les choses reposent sur le joueur et pas sur le personnage. Mais là on touche une problématique fondamentale du JDR.
    Personnellement j’ai tendance à mixer un peu les deux approches en accordant des bonus pour le role play, sauf dans les interrogatoire ou je trouve plus pertinent de ne répondre aux personnage que si son joueur pose les bonnes questions.

  5. Effectivement on en vient inévitablement à la problématique « roleplay vs. règles », ce qui n’était pas l’idée de cet article au départ 🙂 . Je voulais juste présenter quelques situations typiques qui mènent à des scènes plus immersives, grâce justement à un roleplay plus « engageant ».

    D’ailleurs, si vous avez dans vos cartons des scènes typiques du même genre, n’hésitez pas à les poster : je les rajouterai dans l’article, de façon à enrichir cette « base de données » dans laquelle les MJ pourront piocher à loisir ! 😉

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